Les Cathares dans la bande dessinée francophone 2/3 Le XIIIe siècle occitan
Après avoir déroulé, dans la première partie de ce dossier, le fil des albums consacrés aux Cathares dans la bande dessinée francophone, intéressons-nous maintenant aux données historiques, géopolitiques et événementielles, dont nous retrouverons la représentation dans les différents opus que nous avons pu repérer. Au XIIIe siècle, l’Occitanie a subi effectivement des bouleversements dont les Cathares ont été les témoins, les acteurs et les victimes.
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L’Occitanie féodale en 1209
Pour pouvoir comprendre l’histoire du catharisme et de la croisade en Occitanie, il faut bien garder à l’esprit qu’au XIIe et XIIIe siècles, il n’y a pas de séparation entre politique et religion. Ceci est résumé dans l’expression latine Nulla potestas nisi a Deo (Il n’est de pouvoir que de Dieu). C’est pourquoi il est primordial de se pencher à l’aide des cartes ci-dessous sur la situation féodale occitane depuis le déclenchement de la Croisade en 1209 jusqu’au rattachement des terres occitanes au domaine royal en 1271.
Depuis le IXe siècle, les Raimondins, la lignée d’origine rouergate des comtes de Toulouse, ducs de Narbonne, marquis de Provence, a rassemblé un nombre considérable de possessions entre Garonne et Rhône (en vert pâle sur la carte) en deux grands ensembles : à l’Ouest, les comtés de Toulouse, Rouergue, Quercy et Agenais et la suzeraineté sur le comté de Foix ; à l’Est, le petit comté de Mauguio, la vicomté de Nîmes avec la terre d’Argence (Beaucaire) et Saint-Gilles, la seigneurie d’Uzès, le Vivarais et le marquisat de Provence de l’autre coté du Rhône. C’est à peu de choses près ce qu’énumère Raimon VI dans Raimon le Cathare, page 7.
Mais, pour faire de tout ceci un ensemble d’un seul tenant, les Raimondins sont bloqués par la maison des Trencavel, qui détient les trois vicomtés d’Albi, Béziers et Carcassonne (en vert foncé sur la carte). Les Trencavel pratiquent un jeu de bascule entre les comtes de Toulouse et leurs principaux adversaires les comtes de Barcelone, rois d’Aragon depuis 1174, qui détiennent (en jaune sur la carte). la seigneurie de Montpellier, la vicomté de Millau, le comté de Gévaudan et surtout de l’autre coté du Rhône, le comté de Provence dont dépend le comté de Forcalquier. Tout au long du XIIe siècle, les comtes de Toulouse et ceux de Barcelone se sont affrontés en un interminable conflit que les historiens ont appelé « la grande guerre méridionale » et qui vient juste de finir par la réconciliation de ces deux adversaires, qui commencent à craindre les menées des Capétiens, rois de France, dont la limite du royaume est figurée par un trait rouge sur la carte, laissant à l’Est ce qui est du ressort du Saint Empire Romain Germanique et au Sud les terres ibériques de la Couronne d’Aragon.
À l’époque des Cathares, les Raimondins sont trois à se succéder au pouvoir de père en fils : Raimon V (1148-1194), Raimon VI (1194-1222) et Raimon VII (1222-1249) (voir tableau généalogique ci-dessous). On remarquera sur ce tableau généalogique que Raimon VI a eu cinq épouses et que la quatrième se nommait « Jeanne d’Angleterre ». Il s’agit de la fille d’Henri II Plantagenêt et d’Aliénor d’Aquitaine, qui, avant son mariage avec le comte de Toulouse, avait été reine de Sicile. C’est pourquoi son fils Raimon VII est appelé dans les actes de la chancellerie comtale « le fils de la reine Jeanne ». Dans le tome 10 de Mémoire de cendres page 43, il rappelle à Helena qu’ils sont tous les deux des Plantagenêt, de ce grand lignage des enfants d’Henry Plantagenêt et d’Aliénor d’Aquitaine qui tenait tout l’ouest de l’Hexagone et qui mariait ses filles dans toute l’Europe. C’est sans doute aussi pour cette raison que la fille de Raimon VII, mariée à Alphonse de Poitiers, se prénommait également Jeanne comme sa grand-mère, ainsi que le voulait la tradition médiévale où les petits-enfants prenaient les prénoms des grands-parents.
Les Raimondins face à la croisade
Dans la seconde moitié du XIIe siècle, se répandent un peu partout en Europe des dissidences religieuses, comme le catharisme. Comme pour les autres hérésies, l’Eglise catholique romaine adopte contre les Cathares une posture répressive, se matérialisant par la mort sur le bûcher. Cette politique contient l’expansion de l’hérésie dans les territoires où les autorités féodales suivent les directives de l’Eglise. Mais si ce n’est pas le cas, le développement de la dissidence ne semble pas pouvoir être combattue par les seules armes religieuses.
C’est ce qui se passe en Occitanie, dans les possessions du comte de Toulouse et ses vassaux. Après l’assassinat de son légat Pierre de Castelnau, le pape Innocent III, élu en 1198, déclenche en 1209 une croisade contre les Cathares, seul moyen à ses yeux d’éradiquer l’hérésie. En 1231, le pape Grégoire IX généralise le tribunal spécial de l’Inquisition, qui en un siècle de fonctionnement parvient à faire disparaître le catharisme.
Face au problème de l’hérésie au XIIe siècle, le comte Raimon V (1148-1194), plus préoccupé par sa lutte avec la Maison de Barcelone, applique une politique répressive, comme tous les féodaux du royaume.
Tout change à partir de 1194 avec son fils, Raimon VI, qui n’est pas un homme de guerre comme son père et qui est très tolérant envers les Cathares, leur permettant ainsi de prospérer sur ses domaines et ceux de ses vassaux. C’est Raimon VI qui subit de plein fouet le choc de la Croisade.
Dans un premier temps, le comte de Toulouse réussit à échapper à cette agression, en feignant de se soumettre : il sera flagellé à Saint-Gilles en signe de pénitence (voir ci-dessous). Et surtout il laisse les croisés s’abattre sur les terres de son neveu Raimon-Roger Trencavel (1185-1209) en massacrant la population de Béziers (22 juillet 1209). On prétendra qu’il y a eu jusqu’à 20 000 morts, c’est en tout cas le chiffre qui est donné dans la chronique La Chanson de la croisade et qui est repris dans le tome 2 du Dernier Cathare page 9. Les chiffres donnés actuellement sont très inférieurs mais toujours très importants pour l’époque.
C’est à cette occasion que le légat du pape Arnaud Amaury, qui commande à ce moment-là la croisade, prononce la fameuse phrase : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ». Ensuite, la croisade vient assiéger Carcassonne, qui capitule le 15 août 1209, après que le vicomte Trencavel soit capturé par félonie (il meurt en prison en septembre 1209). C’est cette vision de la ville assiégée par les croisés que nous montre Philippe Jarbinet page 7 du premier tome de Mémoire de cendres : on reconnaît bien les tours gallo-romaines de ce qui est maintenant l’enceinte intérieure de la cité (l’enceinte extérieure n’existait pas à cette époque).
Après la reddition de Carcassonne, un nombre important de féodaux petits et grands quitte la croisade. Celle-ci est désormais sous le commandement d’un personnage dans l’important ira grandissante : Simon de Montfort. Dans Aymeric et les Cathares tome 1 page 23, les auteurs ont placé un portrait de ce petit baron de l’Île de France qui va faire régner la terreur sur les terres occitanes.
Devant ce danger omniprésent, Raimon VI se place sous la protection du roi Peire II d’Aragon. Mais cette coalition est écrasée le 12 septembre 1213 à la bataille de Muret. Simon de Montfort est nommé comte de Toulouse par le pape au concile de Latran en novembre 1215, tandis que les possessions raimondines à l’est du Rhône sont restituées au futur Raimon VII.
La fin des Raimondins
C’est désormais le « jeune comte » Raimon VII qui reprend la direction de la résistance contre la croisade. En août 1216, il met en échec Simon de Montfort au siège de Beaucaire. En septembre 1217, Raimon VI, puis son fils en mai 1218 pénètrent dans Toulouse, que Guy de Montfort va assiéger bientôt rejoint par son frère Simon. Celui-ci est tué le 25 juin 1218 et Guy doit abandonner le siège. Petit à petit Amaury le fils de Simon perd toutes les conquêtes de son père, au profit de Raimon VII qui les récupère. Mais Amaury cède ses droits aux capétiens en 1224. En 1226, Louis VIII nouveau roi de France, prend la tête d’une croisade, qui ravage les pays occitans, mais il décède de maladie le 8 novembre de la même année. L’annonce de ce décès nous est montrée dans Mémoire de cendres tome 3 page 16 : Montpensier est situé dans l’actuel département du Puy-de-Dôme et le roi de France y est venu mourir de la dysenterie (fièvre hémorragique), qui était très fréquente à cette époque-là lors des campagnes militaires à cause de la mauvaise hygiène.
La régente Blanche de Castille poursuit cependant la lutte et oblige Raimon VII à signer le traité de Meaux-Paris en 1229 : le comte garde ses terres toulousaines plus le Marquisat de Provence. Mais Jeanne son héritière est fiancée à Alphonse de Poitiers (1220-1271) le frère de Louis IX et les vicomtés de Nimes et de Carcassonne deviennent des sénéchaussées royales. Malgré tous ses efforts, Raimon VII ne pourra rien faire contre ces dispositions. En 1247, il meurt et Alphonse de Poitiers récupère les possessions raimondines qu’il gère à distance depuis le nord de la France, tandis que son frère Charles d’Anjou (1227-1285) devient comte de Provence en 1246 par mariage avec Béatrice, héritière du comté.
En 1271, à la mort d’Alphonse de Poitiers et de Jeanne, toutes les anciennes possessions des comtes de Toulouse sont intégrées au domaine royal, la seigneurie de Montpellier restant aux mains du roi d’Aragon jusqu’en 1349. Ce qui signifie que tous les seigneurs de cette partie de l’Occitanie doivent l’hommage directement au roi, qui est devenu leur seul seigneur. C’est ce qu’évoque Helena en quittant son château de Lorac, dans le tome 10 page 48 de Mémoire de cendres.
Les dernières forteresses cathares des Pyrénées sont déjà tombées : Montségur en 1244 et Quéribus en 1255. Puis, jusqu’au milieu du XIVe siècle, les Cathares survivants seront pourchassés et éliminés par l’Inquisition.