Les photoreporters pendant la Guerre d’Espagne, panorama en bande dessinée
Le photographe correspondant de guerre est une figure marquante de la guerre civile espagnole, avec Robert Capa comme représentant emblématque. Invoquant la réalité ou de manière fictive, la bande dessinée s’est emparée de ce type de personnage à maintes reprises. Retour à travers le 9e art sur cette facette caractéristique de la Guerre d’Espagne.
Il n’y a pas que pour l’arme aérienne que la Guerre d’Espagne est novatrice. À coté de l’aviateur, un personnage nouveau apparaît dans l’Histoire : le photoreporter de guerre. Les progrès de la technique permettent aux preneurs d’images de disposer d’outils légers et utilisables même sur le champ de bataille. Leurs clichés ont non seulement une grande capacité de reproduction, mais aussi une longue durée de conservation. À preuve, la découverte de 4 500 négatifs de trois photographes opérant durant la Guerre d’Espagne, qui sont retrouvés en 2008 dans une valise à Mexico et donnés au Centre international de la Photographie de New York.
Les BD françaises abordent ce sujet de trois manières différentes : en réalisant des biographies de ces photographes, en mettant en scène leurs émules comme personnages fictifs, et en mettant en évidence comment les illustrateurs d’aujourd’hui trouvent dans ces clichés une inépuisable source iconographique.
Biographies de photographes
Parmi ces preneurs d’images, il est une figure qui domine toutes les autres, celle d’Endre Ernő Friedmann, dit Robert Capa (1913-1954), l’auteur en 1936 du célébrissime cliché de la mort d’un soldat républicain lâchant son arme en s’effondrant.
C’est à sa biographie, un peu chahutée sur le plan de l’exactitude chronologique (cf p.66) et à celle de Gerta Pohorylle dite Gerda Taro (1910-1937) – sa compagne, photographe comme lui – qu’est consacré l’album de Florent Silloray Capa, l’étoile filante, chez Casterman en 2016. L’auteur ne pouvait pas ne pas dessiner « sa vision », en contre champ, du fameux cliché de Capa (p. 15). Cet album nous apprend également que ces photographes ont tous les deux connus une fin tragique : dès 1937, Gerda Taro est écrasée accidentellement par un char républicain, tandis que Robert Capa saute sur une mine en Indochine en 1954.
Avant même la parution de cet opus, était sorti chez Cambourakis en 2011, l’album de Mikel Begoña et Iñaket intitulé Tristes cendres. Celui-ci retrace dans un graphisme parfois symbolique les aventures de Robert Capa, en particulier lors de la conquête par les franquistes du Pays Basque en 1937 (partie intitulée Premières cendres), épisode totalement absent de l’album de Silloray.
Autre biographie que celle d’Assunta Adelaide Luigia Modotti Mondini dite Tina Modotti (1896-1942). Une publication d’Angel de la Calle intitulée Tina Modotti, (2011, Vertige Graphic), nous présente le tracé de vie de cette photographe d’art et surtout militante internationaliste, qui prend part à la Guerre d’Espagne, mais travaillant dans un hôpital.
Et enfin, après la guerre civile espagnole, mais liée à elle, se place l’album de Rubio Salva et Pedro J. Colombo, Le photographe de Mauthausen, au Lombard en 2017. Dans ce camp de concentration, où vécurent et moururent nombre de républicains espagnols raflés surtout en France, Francesc Boix i Campo, dit Francisco Boix (1920-1951), photographe républicain, va devenir l’aide d’un SS qui prend en photos les cadavres et la vie du camp. Il réussira à sauver de façon totalement improbable les négatifs des clichés et sera un témoin capital au procès de Nuremberg en 1945.
Photographes de papier
Cette présence des photographes dans le conflit civil espagnol va déborder de l’Histoire et des biographies pour passer dans la création de personnages fictifs, d’abord secondaires, puis principaux dans certains albums.
C’est le cas dans Max Fridman, Non pasaran, le cycle de Vittorio Giardino des aventures de son héros durant la Guerre d’Espagne (intégrale chez Glénat en 2011). On y voit en plein prise de vue à deux reprises (p. 62 et 69), le personnage de Jan, photographe de presse belge (p. 20), qui fait équipe avec l’héroïne, la journaliste Claire Blon de L’écho de Belgique. La référence à Robert Capa est fréquente dans les textes de ces bulles. Est-ce aussi un hasard si le héros a un nom presqu’identique au vrai nom du photographe ? C’est d’ailleurs en se faisant passer pour un reporter-photographe avec un kodak prêté par Jan (p.49 et 164) que Max Fridman peut accompagner les deux journalistes dans la zone des combats du front de l’Ebre.
C’est toujours en référence à Robert Capa, que Jean Vautrin a créé le personnage de Boro, reporter photographe d’origine hongroise. Opus qui sera mis en BD et dont le tome III du Cycle Le temps des cerises (Casterman, 2012) se déroule en juillet 1936 en Espagne.
De la même veine est le couple (ou plutôt la paire de héros) de la série de Pat Van Beirs et Thomas Du Caju, Betty et Dodge, qui narre les aventures d’une aristocrate anglaise et d’un photographe américain. Les péripéties des tomes 5 Disparition à Madrid et 6 Trahison dans les Pyrénées (BD Must, 2013) se déroulent durant le conflit civil espagnol. Mais Dodge ne fait que fort peu de prises de vues. Dans le tome 5, il ne se sert qu’une seule fois de son appareil, pour éblouir avec le flash le conducteur d’une voiture qu’il veut stopper (p.19). Dans le tome 6, il semble faire un reportage photo sur les combattants républicains (p.7 et 8).
De la photo à la BD
Il n’y a pas que les scénarios qui subissent l’influence de la photo. Celle-ci sert de ressource documentaire et de modèle iconographique pour les dessinateurs.
C’est le cas dans l’album d’Henri Fabuel et Jean-Marie Minguez, Exil (Vent d’Ouest, 2013). Les auteurs réinterprètent eux aussi le fameux cliché de Capa mentionné plus haut (p. 7).
Dans l’album Dolorès de Bruno Loth (La boite à bulles, 2016), l’héroïne consulte des photos d’époque pour découvrir l’histoire de la Guerre d’Espagne (p. 51). On trouve dans ce lot de photos un autre cliché iconique de la Guerre d’Espagne, celui de Marina Ginestà, que j’ai évoqué dans mon article sur l’album Hispaniola (Mosquito, 2020). Dans ces mêmes photos, on peut également voir une similitude entre la photo de la combattante avec ses charges explosives à la ceinture (au milieu de la case) et l’action d’éclat de la milicienne Lulia sur les toits de Madrid dans Double 7 chez Dargaud en 2018 (p. 13).
Et enfin, Jose Pablo Garcia, le dessinateur de La Guerre civile espagnole, chez Belin en 2017, a largement puisé dans les clichés de Capa et autres photographes pour illustrer l’ouvrage historique et didactique de Paul Presto.
En conclusion, on peut constater que l’irruption de la photo dans le champ mémoriel des conflits contemporains doit beaucoup à ces hommes et ces femmes, dont le courage physique et le coup d’œil artistique ont su nous donner des témoignages aussi prenants. On peut même dire qu’il y a une force de l’image photographique qui s’est imprégnée durablement dans notre inconscient collectif grâce à ces clichés qui ont véritablement valeur d’icones.
À tel point que durant les années 60-70, un poster a été massivement utilisé par les opposants américains à la Guerre du Vietnam. La photo de cette affiche montre un soldat s’effondrant en lâchant son arme, avec la question « Why ? » (= pourquoi ?). Était-ce un cliché pris par Capra lui-même en Indochine avant sa mort (l’arme du soldat, une mitraillette Thompson, date de cette période), ou une photo réalisée à son imitation ? On ne saurait le dire.
Capa, l’étoile filante. Florent Silloray (scénario, dessin et couleurs). Casterman. 88 pages. 17 euros.
Tristes cendres. Mikel Begoñia (scénario). Iñaket (dessin). Cambourakis. 112 pages. 18,30 euros.
Tina Modotti. Angel de la Calle (scénario et dessin). Vertige Graphic. 272 pages. 26,40 euros.
Le photographe de Mauthausen. Salva Rubio (scénario). Pedro J. Colombo (dessins). Aintzane Landa Chillon (couleurs). Le Lombard. 168 pages. 19,99 €
Max Fridman – No Pasaran Intégrale T3 à 5. Vittorio Giardino (scénario et dessin). Glénat. 167 pages. 30 euros.
Betty et Dodge T5 Disparition à Madrid. Pat Van Beirs et Jean-Claude Van Rijckeghem (scénario). Thomas Du Caju (dessin). BD Must. 19,95 euros.
Betty et Dodge T6 Trahison dans les Pyrénées. Pat Van Beirs et Jean-Claude Van Rijckeghem (scénario). Thomas Du Caju (dessin). BD Must. 19,95 euros.
Exil. Jean-Marie Minguez (scénario). Henri Fabuel (dessin). Vents d’Ouest. 104 pages.
Double 7. Yann (scénario). André Juillard (dessin). Dargaud. 72 pages. 16,95 euros.
La guerre civile espagnole. José Pablo Garcia (adaptation du livre de Paul Preston et dessin). Belin. 240 pages. 24,90 euros.
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