Nez de cuir, réinsertion impossible d’une gueule cassée napolénienne
Le retour d’un soldat grand blessé dans son foyer est parfois problématique. Dans Nez de Cuir, de Jean Dufaux et Jacques Terpant, le fardeau de Roger de Tainchebraye est double. Défiguré, l’officier de cavalerie de la Grande Armée doit affronter le regard des autres, et côtoyer les monarchistes revenus aux affaires en 1815.
Quand on évoque les gueules cassées, on pense immédiatement à la Première Guerre mondiale, dont la puissance de feu déchiquètent les corps comme jamais auparavant. Nez de Cuir transpose l’expression un siècle plus tôt, à l’époque des guerres napoléoniennes, elles aussi grandes pourvoyeuses de blessés graves. Le nombre élevé de batailles et de soldats mobilisés, la fréquence des combats au corps à corps, ainsi que le rôle de plus en plus important de l’artillerie font en effet énormément de victimes. Et dans le même temps, l’efficacité des services de santé (Dominique-Jean Larrey, chirurgien en chef de la Grande Armée, met ainsi en place des ambulances volantes pour opérer au plus près du champ de bataille) minimise les décès dus aux armes. En conséquence, les blessés se multiplient. Et ce n’est pas un hasard si l’hôtel des Invalides prend une importance significative pendant le Premier Empire. L’institution est d’ailleurs très appréciée par Napoléon, qui organise sous son dôme la première distribution des Légions d’honneur. L’attention apportée aux vétérans et aux blessés de guerre devient un enjeu politique.
Blessé, le héros de Nez de Cuir l’est très grièvement. Le jeune comte Roger de Tainchebraye, officier du 1er régiment des gardes d’Honneur, perd une joue et son nez pendant la bataille de Reims le 13 mars 1814. Lors de la charge contre la cavalerie cosaque, une balle russe fait sauter la jugulaire de sa coiffe, laissant son visage sans défense pour le coup de sabre qui suit. Tombé inconscient sur le champ de bataille, il survit miraculeusement à ses blessures, mais est défiguré à jamais. Il doit porter un masque qui lui recouvre la moitié haute de son visage et lui vaut le surnom, à la fois moqueur et empli de crainte, de Nez de Cuir. Vivre, pour ce beau jeune homme défiguré, est désormais une souffrance. Qu’il noie dans les bras des femmes, fascinées par ce don juan masqué. Difficile d’imaginer que ces troubles de stress post-traumatiques (qui ne disent pas encore leur nom) ne s’achèvent pas par un drame.
Avec Nez de Cuir, Jean Dufaux et Jacques Terpant adaptent un roman de Jean de la Varende, publié en 1936, plus proche du romantisme du XIXe siècle que de la modernité des années 1950. Le romancier s’inspire d’une histoire vraie, celle de son grand-oncle Achille Perrier de la Genevraye. A travers la trajectoire de cet aïeul, c’est la réinsertion d’un mutilé de guerre dans la (bonne) société qui est décrite. Avec toutes les chausse-trappes d’une communauté régie par les convenances et les apparences. Mais plus encore, l’un des fils rouges de Nez de Cuir est le retour d’un officier de l’armée napoléonienne dans la France de Louis XVIII. Après Waterloo – il faut plus d’un an de convalescence à Roger avant de rentrer chez lui à la frontière de la Normandie et du Perche, les soldats de « buonaparte », comme l’appelle le marquis de Brives, voisin du comte de Tainchebraye, ne sont pas en odeur de sainteté dans la classe dirigeante, de nouveau aux affaires. Ce qui laisse peu d’espoir à Nez de Cuir quant au reste de son existence.
Nez de Cuir. Jean Dufaux (scénario). Jacques Terpant (dessin et couleurs). Futuropolis. 64 pages. 16,90 euros
Les 5 premières planches :
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