Paul : descente aux enfers et résurrection d’un ex-Beatle

La transition entre les Beatles et sa carrière solo a été douloureuse pour Paul McCartney, tombé brutalement dans un sérieux état dépressif. Mais c’est plutôt l’histoire d’une résurrection qui est racontée ici. Habitué des bandes dessinées en lien avec les Fab Four, Hervé Bourhis publie Paul, une biographie du plus célèbre des bassistes. Sous-titré La Résurrection de James Paul McCartney (1969-1973), l’album s’attache à décrire les tout débuts de la période post-Beatles, à travers les yeux de l’auteur de Hey Jude. Pour Cases d’Histoire, Hervé Bourhis nous en dit plus.
Cases d’Histoire : C’est un secret de polichinelle, vous êtes passionné par les Beatles. Mais est-ce que vous vous souvenez d’où vient cette passion ?
Hervé Bourhis : C’est assez particulier parce que mes parents n’achetaient pas de musique, alors que mon grand frère était grand consommateur de rock mais est passé complètement à côté des Beatles. Je me rappelle pendant des vacances en Bretagne qu’il avait pris à la bibliothèque des cassettes de Yellow Submarine et du premier album, donc c’est mal tombé parce que ce n’est pas très représentatif. Bref, il a considéré que c’était nul et après c’était foutu. Et encore aujourd’hui, il a du mal avec les Beatles mais il aime des groupes qui pompent les Beatles. C’est absurde, mais c’est comme ça. Quand il y a un blocage à l’adolescence, c’est mort. Et pour le coup, c’est très bizarre parce que je suis venu aux Beatles par le livre. Pour mes 14 ans, on m’a offert le petit bouquin carré de Jacques Volcouve, qui est très chouette. Et j’ai été fasciné par les photos, par l’histoire, j’ai lu plein de fois tout ça et donc je connaissais par cœur l’histoire des Beatles et des chansons avant de les avoir écoutées. Après, j’ai acheté les cassettes et je n’ai pas été déçu.
Et pourquoi les Beatles ?
D’abord, leur histoire est immaculée. Pour moi. Ils se sont séparés à temps. Du coup, tout est bien. De Hambourg à Abbey Road, c’est cohérent, c’est fluide. C’est une belle histoire parce que ce sont des gamins, des gamins prolos du nord de l’Angleterre qui réussissent à faire ça, c’est complètement fou. Il fallait six heures pour faire Londres-Liverpool. Et à Londres, personne n’en avait rien à faire de Liverpool. Donc, ce qu’ils ont accompli est complètement fou.
Le fait qu’ils aient réussi, pendant une période, à toucher absolument tout le monde, je ne sais pas si on a revu ça depuis. Et encore aujourd’hui, chaque fois que je vois une photo que je ne connais pas, je suis fasciné par leur charisme, par leur beauté. Parce que j’ai un fils ado, je sais que c’est le seul groupe des années 60 que les ados peuvent écouter aujourd’hui. Parce que c’était très bien enregistré, très bien masterisé. J’adore les Kinks, mais le son des Kinks, ce n’est pas possible aujourd’hui.
Vous avez déjà fait plusieurs BD sur ou autour des Beatles. Comment vient l’envie ?
Je lis par exemple la dernière bio de McCartney. Il y a toute cette partie sur la séparation des Beatles jusqu’au succès des Wings. Je me dis, mais quand même, cette histoire-là n’est pas très connue. Et puis, même l’histoire avec Fela Kuti, qui fait deux pages dans le bouquin, pourrait être développée. Le déclic, ça vient aussi du documentaire Get Back de Peter Jackson, parce que c’est immersif. Et je me dis, tiens, ça serait bien si on pouvait vraiment être spectateur de la séparation. Une petite souris dans le bureau de chez Apple pour voir ça. Mais en fait, le vrai déclic, c’est quand ils ont retrouvé les cassettes des dernières réunions des Beatles, il y a 4 ou 5 ans, et où j’ai pu lire les retranscriptions exactes de ce qu’ils se sont dits ce jour-là. C’est là qu’ils ont acté la séparation. Et puis, tout se rejoint, ça se cristallise, et c’est parti.
L’album s’intitule Paul. Un de vos précédents, Retour à Liverpool, était centré sur John. Est-ce à dire que vous êtes le seul Beatlemaniaque à ne pas avoir de préférence entre les quatre Beatles ?
Ah si, j’ai une préférence maintenant assez claire pour Paul. Il y a quelque chose de plus solaire, plus positif chez lui. Il y a trop de zones d’ombre chez Lennon. Et finalement, ce que je pouvais aimer, et ce que tout le monde aimait chez lui dans les années 70, sur le côté très rock, violent, ne m’intéresse plus vraiment. Alors que la vie de Paul, considérée comme ringarde à l’époque, avec sa famille, ses moutons, est super cool aujourd’hui. C’est lui qui avait raison, et pourtant il s’est fait cracher dessus à l’époque. C’est une histoire plus positive qui m’intéresse plus. George est compliqué, Ringo, je ne sais pas trop quoi raconter.
C’était l’idée de descente aux enfers et de résurrection de Paul, cette trajectoire-là qui vous a fait vous pencher sur la question ?
Oui, parce qu’elle n’est pas très connue. C’est une sorte de dépression. Il en a parlé à un moment donné, mais toujours quelques pages par-ci par-là, ça n’est jamais développé. Le truc bizarre, c’est que ça s’est passé pendant la sortie d’Abbey Road, qui est la gloire absolue. Ça a complètement camouflé le reste.

Les lecteurs qui ne connaissent pas bien la vie de Paul vont apprendre énormément de choses et des choses assez étonnantes, notamment ce retour à la scène avec un petit groupe, dans les petites salles, dans les universités, devant les étudiants.
Les musiciens engagés par Paul étaient d’ailleurs dégoûtés. Ils s’attendaient aux grands hôtels, aux belles salles, et c’était le petit van merdeux au mois de février en Angleterre. Et Paul trouvait ça génial. C’était rafraîchissant pour lui. Ce qu’il voulait absolument, très vite, c’est reprendre la scène. il aurait pu se relancer immédiatement en prenant les meilleurs musiciens, faire un gros disque. Mais il n’avait pas envie de ça. Il voulait repartir de zéro. Et il l’a fait par la petite porte, effectivement. Je crois que ce ne serait pas possible, aujourd’hui, d’aller voir les clubs d’étudiants des universités, le jour même, pour dire « Tiens, on va jouer ce soir, t’as une ronéo, on va faire des flyers. On a un petit groupe. » Et donc, les gens, les étudiants, quand ils y allaient le soir, parce que le nom Wings n’était pas du tout connu, ils étaient stupéfaits de tomber sur McCartney. Lui était super content, il trouvait ça génial. Bon, ça s’est arrêté au bout d’un moment, quand ils se sont dit « Bon, ça suffit, on passe à autre chose. » Mais c’était quand même possible de faire ça. Et je sais que Lennon était très admiratif de ce qu’il a fait. Lui ne l’aurait jamais fait.
Il y a aussi, dans les choses étonnantes que les lecteurs vont apprendre, l’invitation manquée pour jouer avec Jimi Hendrix, Miles Davis, et Tony Williams. C’est fou. Qu’est-ce que ça aurait donné, ce truc ?
Ça dépend du nombre de drogues présentes (rires). Ce qui est vraiment dommage pour lui, c’est qu’il était en pleine dépression. Ça aurait pu lui faire du bien. Parce qu’il avait besoin de ce genre de trucs. Et le télégramme d’invitation est arrivé chez Apple le même jour que la rumeur « Paul is Dead ». Ce n’était pas la priorité. Le télégramme n’est jamais arrivé jusqu’à lui. C’est intéressant parce que ça m’a surpris cette histoire. Je ne pensais pas que des musiciens de ce niveau-là avaient du respect pour son travail. Et il y en a d’autres. Mais effectivement, on voit qu’il a inventé un style de basse qui impressionnait tout le monde. Sur Abbey Road, c’est assez fou ce qu’il fait quand même. C’est très technique.

Dans la période traitée dans le l’album, Linda a une place très importante. C’est une figure majeure dans sa vie, évidemment. Mais aussi une figure clivante pour les fans. Comment avez-vous abordé la façon de la représenter ?
D’abord, elle est complètement indispensable à sa résurrection. Et même pour la formation du bonhomme. On parle toujours de John et Yoko, mais c’est exactement pareil de l’autre côté. Même apport. Même qualité musicale… (rires) C’est super aussi qu’il ait voulu absolument que toute sa famille soit mêlée en permanence à son travail. C’est génial. Ça aussi, c’est un truc moderne qu’on voit maintenant. Oui, c’était un moderne en fait, Paul. Et pour ça, il voulait que sa femme soit tout le temps à côté de lui. Exactement comme John. Et pour John, ça paraissait cool à l’époque, mais pour Paul, c’était considéré comme ringard.
En fait, la différence, c’est que Yoko était quand même une princesse et une grande artiste. Donc je pense qu’il y avait une sorte de respect pour elle. Linda, la mère au foyer, ce n’était pas possible. Donc je tenais à ce qu’on la voie. J’ai même failli appeler l’album Paul et Linda. C’est quand même elle qui lui a dit qu’il fallait partir en Écosse, qu’il fallait passer à autre chose. Parce qu’il démarrait la journée au whisky. Donc elle l’a sauvé, c’est sûr. Mais comme Yoko a sauvé John de la dépression en 1968, c’est exactement pareil.

Il y a beaucoup d’humour dans la BD. Voire un peu de second degré, un peu de recul par rapport au sujet. Est-ce que ce n’est pas un rappel aussi de l’humour british, de celui de Paul ?
Oui, un petit peu incisif. Mais même George, qui pouvait être un râleur pas possible dans les interviews, finit toujours par faire une blague. Tous les quatre étaient comme ça. Paul aussi. Même sur scène, quand il entend un cri bizarre, il commence à interpeler la personne. C’étaient des gars de la rue. Je ne pense pas avoir tant extrapolé que ça. Je les vois assez comme ça question humour. Après, il y a peut-être le mien aussi qui est passé dedans, mais je ne crois pas avoir trahi leur esprit. Et puis quand ça doit être dramatique, je ne lance pas de blague.
Ce n’est pas une comédie, c’est une bio effectivement. Mais on a l’impression que c’est sérieux, sans trop se prendre au sérieux.
Détendu. Ça devait être un bouquin absolument positif et solaire. Il n’était pas question de s’appesantir. Je ne veux pas faire des trucs ton sur ton. Avant, j’ai fait Mon infractus chez Glénat. C’est pareil, il n’était absolument pas question d’ennuyer les gens. J’utilise l’humour au second degré. Ça fait mieux passer la pilule. Le choc est assez terrible quand on arrive sur des pages dramatiques. Là, je pense que ça réveille et c’est indispensable. Mais faire pleurer dans les chaumières avec un problème, ce n’est pas possible. C’est ce que disait Gainsbourg. Parler des choses graves avec légèreté, et l’inverse. Je crois beaucoup à ça.

On parlait de Linda. On va parler de Yoko aussi. Ce n’était pas une obligation parce que ça n’a pas un lien direct avec la musique, mais vous montrez le rôle de Paul et Linda dans la réconciliation entre John et Yoko.
Oui, je ne pensais pas que ça allait être la première page, mais c’est sûr que ça devait être la fin. J’ai choisi de commencer l’album par un flashforward pour tenir en haleine, pour avoir une scène d’intro chouette et qu’on ait envie de savoir ce qui se passe à la fin. C’est une histoire de structure. C’est purement scénaristique. Il fallait que ça se termine positivement. Comme l’histoire commence avec une séparation et que leur relation est abominable, il fallait que ça se finisse bien. Et ça s’est bien fini en 1974 où ils ont tous fini par admettre que Paul avait raison sur toute la ligne au sujet de Allen Klein. C’est marrant parce que la rencontre de John avec Allen Klein c’est le lendemain de la fin du tournage de Get Back. Il en parle d’ailleurs à un moment : « Je vais rencontrer un mec… Il a l’air bien ! » (rires)
Paul a un vrai rôle de messager dans la réconciliation entre John et Yoko.
C’est lui qui lui dit « Il faut que tu ailles la voir. » Le « last weekend » est fini. Il faut lui faire la cour à genoux et repartir à zéro. Yoko a quelques exigences. Ça devait être mignon d’ailleurs.

Vous en avez parlé au début de l’entretien, il y a la session d’enregistrement de Band On The Run au Nigéria. C’est une série Netflix à elle toute seule.
C’est vrai. Incroyable. Au départ, ils sont complètement couillons. Ils pensaient partir enregistrer un album sous les cocotiers. Tu te renseignes un minimum. Il n’y avait pas Internet, d’accord, mais tu te renseignes quand même. Le Nigéria, ce n’est pas la Martinique. Ils cherchaient le soleil. Ils se sont dit que l’Afrique, c’est cool. Et ils atterrissent à Lagos, en plus. Une ville de plus d’un million d’habitant à l’époque, en pleine expansion. En revanche, les musiciens habituels de Paul n’y sont pas allés. Peut-être qu’eux, ils se sont renseignés.
Ceci dit, il en ressort un truc. Certainement son meilleur album avec les Wings. Avec des expériences incroyables. Fela Kuti entend parler qu’il y a un Anglais qui est là pour voler la musique locale. Donc, il vient avec ses copains armés et ils discutent. Et il écoute ce qui est déjà enregistré. Et il dit « t’as raison, t’es mon pote, il n’y a pas de musique africaine ». Et Paul dit « bah oui, je te l’avais dit ». Mais quel est l’intérêt d’aller enregistrer de la musique à Lagos, en Afrique, s’il n’y a pas d’influence africaine ? C’est quand même bizarre. Effectivement, quand on l’écoute, Band on the run aurait pu être enregistré à Abbey Road. Et puis après, il y a la soirée au club de Fela, l’Africa Shrine. Où il a passé une soirée mythique. Fela a joué pendant quatre heures. Paul a fumé un truc à décorner les bœufs. Et il a chialé devant tant de beauté.
Quand j’ai lu cette histoire, je me suis dit qu’il fallait la raconter. Et la dessiner, surtout. Parce qu’il y a de la couleur, des gueules pas possibles. Là, ce n’est plus l’Ecosse, on est dans autre chose. D’ailleurs, j’ai fait en sorte que la première tournée des campus, en février, soit bien grise, bien ingrate. Pour qu’après, ça explose.

Justement, parlons du choix des couleurs. Il y a un rose fluo qui revient beaucoup. Ce n’est pas forcément la couleur qu’on associe avec le début des années 70. Comment s’est fait le choix ?
En fait, quand on a parlé avec Néjib, mon éditeur, des envies qu’on avait graphiquement, c’était Heinz Edelmann, par exemple, qui a fait Yellow Submarine, ou Milton Glaser, qui a fait le portrait de Dylan, des choses comme ça. Effectivement, plus les années 60. On s’est dit que ça allait apporter de la lumière et de la couleur à une période qui est plutôt grise. Le début des années 70, en Angleterre, c’est grisouille. Mais on ne voulait pas un truc orange Casimir. On ne voulait que le bouquin reflète les derniers éclats des années 60. Il fallait un truc lumineux. D’où ce parti pris un peu radical.
On reconnaît aussi beaucoup de photos. Notamment la couverture. J’imagine que pour la documentation, c’était assez simple.
Parfois oui, parfois non. Par exemple, pour la tournée des campus, c’est deux pages dans la bio. Donc après, il faut se débrouiller pour savoir où se trouve Ashby-de-la-Zouch [la première étape de la tournée des campus, qui ne débouchera pas sur un concert]. Alors, on n’a pas les horaires, donc je calcule combien de temps il faut pour faire Londres – Ashby-de-la-Zouch. À quoi ressemble l’autoroute à l’époque. À quoi ressemblent les panneaux. Parce que c’est assez précis tout ça. À quoi ressemble le club. J’ai trouvé des photos. Il a fallu que j’aille sur des forums de mecs qui avaient vu le concert. Il y a quand même beaucoup de recherches. Le studio à Lagos, ce n’était pas facile à trouver non plus. Et puis les gens se trompent aussi parfois. Ils montrent des choses, mais ce n’est pas ça. Donc il y a eu beaucoup de travail quand même à ce niveau-là. La maison de Paul, ce n’est pas si simple. Parce qu’il n’y a pas beaucoup de photos de l’intérieur. Il a bien raison. Donc il a fallu creuser quand même pour savoir. Et il faut faire gaffe. J’ai appris qu’il a fait refaire sa cuisine en 1975. Et moi, je voulais que ce soit exactement comme en 1969. Je ne supporte pas qu’il y ait des erreurs documentaires.

Oui, parce qu’effectivement, des photos de Paul, il y en a des tonnes. Mais recréer les décors, l’environnement, c’est autre chose.
Il a fallu que j’aille à Londres. Parce qu’il y a des photos de sa maison dans le quartier de Cavendish, mais toujours du même endroit. Il y avait des trucs que je ne comprenais pas dans la perspective. J’y suis allé, j’ai pris des photos. Et là, il y a une dame, une employée de maison je ne sais pas, qui est sortie. J’ai juste pu jeter un bref coup d’œil à l’intérieur. Et puis je suis retourné aux studios d’Abbey Road, à l’emplacement des bureaux d’Apple, pour prendre des photos.
Est-ce que vous avez des pistes, des envies, pour réaliser un nouvel album en lien avec les Beatles ?
Mon éditeur aimerait que je fasse l’histoire parallèle de John et Yoko, mais j’ai du mal avec John. Si j’ai fait cet album, c’est que Paul est un personnage positif. Avec John, je ne vois pas trop quel est le message. Si je prends la même période, je ne suis pas sûr d’aimer John. Ce n’est pas possible de passer trois ans sur un truc qui raconte l’inverse de ce que j’ai voulu raconter avec celui-là. Je ne le sens pas. Ce sera peut-être autre chose. Mais peut-être que je vais le faire quand même si je trouve un axe. Parce que Yoko est intéressante et que le couple est fascinant. Sinon, est prévue en 2028 la sortie de quatre films sur les Beatles, réalisés par Sam Mendes. J’ai encore un peu de temps devant moi, mais ça donne envie de penser à quelque chose pour l’occasion.
Paul – La résurrection de James Paul McCartney (1969-1973). Hervé Bourhis (scénario, dessin et couleurs). Casterman. 88 pages. 20 euros.
Les cinq premières planches :