Ronald Reagan est-il vraiment Le Crétin qui a gagné la guerre froide ?

Est-ce à coup de formules (« America is back », « On gagne, ils perdent »), d’histoires drôles ou de convictions simples et assenées avec fermeté que Reagan a gagné la guerre froide ? Avec Le Crétin qui a gagné la guerre froide, Jean-Yves Le Naour, historien, et Cédrick Le Bihan, dessinateur, réussissent à raconter avec dynamisme la politique étrangère reaganienne qui vit la résurgence des tensions entre les deux blocs, puis une phase de détente et, finalement, la chute des régimes communistes d’Europe de l’Est.
Toutefois, cet album est moins une histoire de la dernière période de la guerre froide que le portrait de Ronald Reagan. Ancien acteur d’Hollywood, démocrate qui se rapproche des républicains, gouverneur de Californie, il est élu président en 1980. Il l’est triomphalement pour un second mandat en 1984. L’homme est foncièrement anticommuniste et libéral. Il est en outre peu cultivé, sans connaissance particulière en relations internationales. Il n’apprécie guère les briefings de ses conseillers, leur préfère les donuts (p.18, p. 55) et la série télévisée Dallas.
Est-il un crétin, comme le suggère le titre provocateur de cet album ? La biographe Françoise Coste le dépeint plutôt comme un homme de conviction, non un idéologue, qui a tendance à s’en remettre à ses conseillers. Au point de se laisser entraîner dans un montage peu scrupuleux pour fournir des armes aux guérillas anticommunistes d’Amérique latine. L’affaire empoisonne son second mandat et les deux auteurs en restituent bien les déboires (p.50-52).

Le mérite de cet album est d’insister sur le poids de la communication politique. Reagan apprend par cœur les discours et il excelle devant les médias. Le grand communicant, comme on l’appelle, séduit par sa prestance, ses formules simples, les images qu’il sait habilement façonner (p.44). Les autres chefs d’État le trouvent désarmant. Le leader soviétique Gorbatchev est plus d’une fois consterné. Le personnage apparaît conciliant, il était en fait arriviste et opportuniste. À grossir le trait du crétin, on risque de lisser les travers de ses propres interlocuteurs. N’oublions pas non plus que les régimes communistes étaient bien liberticides et que le niveau de vie des populations y fût assez médiocre. C’est la fameuse image de la queue devant les boutiques page 37 (en janvier 1989, Plantu dessina la même scène à la une du Monde).

Il n’en reste pas moins que le “bon gars” Reagan conduit les relations Est-Ouest sans nuance et ne s’embarrasse pas de périphrases. C’est la différence avec le leader soviétique qui travaille les dossiers et se forge la conviction que le dialogue doit être rétabli. L’arrogance vindicative de Reagan horripile Gorbatchev. Le courant finit cependant par passer à partir de 1987. Le Naour et Le Bihan ont saisi en quelques cases la complexité de cette relation. Gorbatchev résume bien l’impression que les deux auteurs ont su exprimer : « Il est confondant de naïveté. Je ne peux plus le souffrir, mais je ne peux pas le détester non plus » (p. 55). Finalement, on ne sait pas si Reagan est sympathique ou dangereux parce qu’inconséquent.
Le Crétin qui a gagné la guerre froide est une bonne synthèse, alerte, qui ne déroge pas à la réalité historique restituée par des dessins réalistes. Un parti pris satirique, sans complaisance, mais sans malveillance.
Le Crétin qui a gagné la guerre froide. Jean-Yves Le Naour (scénario). Cédrick Le Bihan (dessin). Bamboo. 64 pages. 15,90 euros.
Les dix premières planches :