Viollet-le-Duc, l’homme qui ressuscita Notre-Dame, histoire d’un sauvetage architectural
En 1838, un jeune dessinateur se voit offrir un poste d’architecte par Prosper Mérimée, inspecteur général des monuments historiques, avec la difficile mission de restaurer des monuments du Moyen Âge jusque-là abandonnés par un XIXe siècle féru d’architecture antique. Ecrasé par la tâche mais convaincu que le gothique est l’art français par excellence, Viollet-le-Duc s’y jette à corps perdu, jusqu’au jour où lui est confié le chantier de sa vie : la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris. A travers ce récit, Rubio, Ocaña et Maz! nous emmènent à la découverte de la vie et de l’œuvre d’un des grands architectes du XIXe siècle.
Cette bande dessinée biographique est la première d’une collection intitulée « Les Bâtisseurs » lancée cette année par Delcourt, qui s’insère dans la série des biographies historiques comme celles sur les Valois ou sur « Les reines de sang ». Le genre a le vent en poupe, et Viollet-le-Duc s’inscrit dans le format d’autres séries classiques comme « Ils ont fait l’histoire » publiée chez Glénat. Dans le format, dans le style comme dans la façon de faire appel à un historien pour valider le récit (ici Arnaud Timbert, spécialiste de l’architecte), ces séries usent de la même formule pour produire des bandes dessinées historiques à la fois divertissantes et pédagogiques.
Rubio, Ocaña et Maz! ont l’art de camper le contexte, et il faut attendre plusieurs pages avant de rencontrer le turbulent Eugène Viollet-le-Duc, 24 ans. Les premières planches sont en effet consacrées à l’incendie de Notre-Dame le 15 avril 2019, l’occasion d’un dialogue entre passé et présent, et de poser d’emblée l’idée maîtresse du livre : cent fois menacée, abîmée, transformée, la cathédrale reste debout, au point d’être devenue un des symboles de Paris – ce à quoi Viollet-le-Duc n’est pas étranger.
Lorsque Prosper Mérimée le sollicite en 1838, le projet de sauver les monuments de l’art gothique est en cours depuis plusieurs années, mais il se heurte à de nombreuses résistances, notamment de la part des architectes de l’Académie des beaux-arts. Une Académie puissante que Viollet-le-Duc méprise, lui qui n’y a pas fait ses classes – c’est du moins le propos des auteurs, qui font de l’architecte un génie rebelle et incompris par ses pairs. Ils reprennent là les récits de ses élèves, qui ont construit sa légende a posteriori. En réalité, Viollet-le-Duc n’avait pas que des ennemis à l’Académie, et s’il a eu au départ la dent dure contre les Académiciens, il a toute sa vie aspiré à en rejoindre les rangs.
Viollet-le-Duc fait ses armes sur le chantier de l’église de Vézelay, dont aucun architecte n’a voulu prendre le risque de restaurer les ruines branlantes. Il faut dire que l’entreprise est risquée : s’il échoue, le jeune homme verra sa carrière finir aussi vite qu’elle a commencé. Son pari gagné, Viollet-le-Duc enchaîne les chantiers, Pierrefonds, Carcassonne, le Mont Saint-Michel… jusqu’à se voir confier celui de Notre-Dame.
On doit aux auteurs d’avoir en partie revalorisé le rôle de Jean-Baptiste Antoine Lassus dans cette entreprise. Lassus a été le partenaire de Viollet-le-Duc sur de nombreux chantiers, dont la restauration de Notre-Dame – ou plutôt, sa reconstruction, puisque Viollet-le-Duc voulait retrouver un état idéalisé de la cathédrale, qui n’a jamais existé. Lassus était un excellent technicien, là où Viollet-le-Duc était davantage un visionnaire et un théoricien (un aspect de son travail que les auteurs laissent un peu de côté). Contrairement à ce que la légende raconte, Lassus n’a jamais été l’exécutant de Viollet-le-Duc, et son apport dans la reconstruction de Notre-Dame a été décisif. Les auteurs insistent sur leurs relations oscillant entre admiration mutuelle et visions divergentes – les deux hommes seront d’ailleurs un moment en froid. Le récit montre bien que Viollet-le-Duc n’est pas une personnalité facile : obnubilé par son travail, il délaisse femme et enfants, pousse à bout ses équipes, s’agace, s’emporte… la nuance est bienvenue dans un récit qui, sinon, aurait pu verser dans le portrait de prophète incompris. Il faut dire que Viollet-le-Duc lui-même croyait en la valeur messianique de son travail…
En définitive, la biographie de Rubio, Ocaña et Maz! donne des clés importantes pour comprendre l’apport de Viollet-le-Duc dans la sauvegarde et la valorisation du patrimoine français. En dépit de quelques procédés narratifs faciles, le scénario est bien ficelé, le dessin classique et maîtrisé, la mise en scène énergique. Les auteurs nous emmènent donc efficacement sur les traces de cet architecte que l’incendie de 2019 a remis sur le devant de la scène. Une bonne biographie, qui se lit avec plaisir et intérêt.
Viollet-le-Duc. L’homme qui ressuscita Notre-Dame. Salva Rubio (scénario), Eduardo Ocaña (dessin), Maz ! (couleur), Arnaud Timbert (préface). Delcourt, série Les bâtisseurs. 80 pages. 15, 95 euros.
Les onze premières planches :
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