40 Hommes et 12 Fusils, la Guerre d’Indochine côté vietminh
S’il y a eu quelques BD francophones sur le coté français de la Guerre d’Indochine (voir le dossier publié sur Cases d’Histoire) nous n’avions pour le moment aucun opus sur le camp d’en face, le Vietminh. Cette lacune est comblée par 40 hommes et 12 fusils, le roman graphique de Marcelino Truong. Grâce à son graphisme réaliste, légèrement imprégné de la tradition iconographique sino-vietnamienne, l’auteur nous fait vivre de l’intérieur les conditions d’existence des Bo Doi (soldats) de « l’oncle Ho ». Et ceci à travers le destin individuel de Minh, jeune artiste peintre enrôlé malgré lui dans les rangs de l’APLVN (Armée populaire de Libération du Viet Nam) durant les années 1953-1954, qui voient avec la défaite de Dien Bien Phu (mai 1954) se terminer ce conflit de décolonisation commencé en 1946 dans les rues d’Hanoï.
D’abord une explication. Si l’album, pourtant aventure individuelle, s’intitule 40 hommes et 12 fusils c’est que le titre fait allusion à la structure d’une UPA. (Unité de Propagande Armée) dans laquelle est muté Minh, le personnage principal de l’album.
Mais revenons au début de l’opus. Nous sommes en 1953, à Hanoi au Vietnam. La ville est encore tenue par les Français et on peut y vivre avec l’illusion qu’il n’y a pas de guerre. À 21 ans, Minh, fils d’une riche famille vietnamienne, fait les Beaux Arts et se destine à devenir artiste peintre. Mais une série de circonstances imprévues font que, pour échapper à la mort, il doit s’engager dans les forces armées vietminh. Avec d’autres recrues, depuis le delta du Fleuve rouge à travers les montagnes du Haut Tonkin, il est dirigé sur un camp en Chine du sud.
Là, il est soumis à un sévère entraînement militaire et à un encore plus sévère conditionnement idéologique.
Ses dons artistiques ayant été détectés, il doit rejoindre son affectation en UPA vers Son La dans l’ouest du Haut Tonkin. Depuis la frontière, il doit faire route avec deux « combattants très expérimentés » avec qui il se lie d’amitié. À tel point qu’à la page 122, Minh s’improvise maître d’école pour faire un peu d’alphabétisation avec ses deux camarades. À partir de cette présentation sur l’écriture vietnamienne, due au « Jésuite avignonnais Alexandre de Rhodes » l’auteur fait un point sur le problème historique et politique des catholiques vietnamiens. Le delta du Fleuve rouge comptait de nombreuses communautés catholiques, suite à l’évangélisation des Jésuites au XVIIe siècle et qui ont été utilisées par les colonisateurs français aux XIXe et XXe siècles (voir aussi page 288).
Arrivé finalement à l’UPA, Minh découvre qu’il est placé sous les ordres d’un Français rallié du nom vietnamien de Phu Long, avec qui les relations se dégradent très vite, à cause de la raideur idéologique de ce cadre. Si l’on veut plus de renseignements sur les « ralliés » ou les « soldats blancs d’Ho chi Minh », on se reportera à la troisième partie du dossier La Guerre d’Indochine 1946-1954 dans les BD francophones.
Soigné à l’arrière après la bataille de Dien Bien Phu à laquelle il participe, il participe comme grand blessé et décoré au défilé de la victoire à Hanoi le 10 octobre 1954. Retrouvant ensuite sa fiancée et leur fille qu’il ne connaissait pas, il peut partir avec elles à Saigon grâce aux dispositions des Accords de Genève de juillet 1954.
Très finement, l’auteur ne manque pas de souligner comment le Vietminh utilise à son profit certains éléments de la tradition vietnamienne. Deux exemples : le Viet Vo Dao art martial vietnamien p168 et les gravures populaires p171.
On sent également dans la façon dont l’auteur traite un certain nombre d’images, comme les paysages, l’influence de l’iconographie traditionnelle sino-vietnamienne.
Au cours de ses déplacements dans le Haut Tonkin, Minh ne cesse de croiser les routes de la logistique vietminh. D’une part, des centaines de milliers de porteurs et de porteuses qui assurent le ravitaillement des troupes combattantes ainsi que l’évacuation des blessés.
D’autre part, les artilleurs, qui depuis le sud de la Chine amenèrent jusqu’aux hauteurs surplombant la cuvette de Dien Bien Phu, les canons qui écrasèrent le camp retranché français entre mars et mai 1954 (pages 100-101, 239-243).
Malgré son aspect parfois un peu trop didactique, ce roman graphique nous permet de suivre le devenir d’un jeune vietnamien face au conflit de décolonisation. Cet opus n’est pas sans rappeler une autre œuvre littéraire autobiographique d’un cadre de l’armée vietminh : Ngo Van Tchieu, Journal d’un combattant vietminh, édité dès 1955 aux Editions du Seuil, qui ressemble aussi au personnage du « chef de bataillon Lam » dans la BD (pages 104-112).
L’entretien avec Marcelino Truong sur Cases d’Histoire, ICI.
40 Hommes et 12 fusils. Marcelino Truong (scénario, dessin et couleurs). Denoël Graphic. 296 pages. 28,90 euros.