Babylon Berlin, années folles et montée du nazisme sous la république de Weimar
Adapté du roman de Volker Kutscher, Babylon Berlin décrit la capitale allemande à la fin des années 1920, à travers les yeux d’un inspecteur de la brigade des mœurs. Arne Jysch représente une ville en ébullition, où les vestiges de la Première Guerre mondiale sont toujours bien présents.
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Dix ans après la fin du conflit, que reste-t-il de la Première Guerre mondiale ? Quelles traces a-t-elle laissées en Allemagne et notamment dans sa capitale ? C’est en filigrane la lecture que l’on pourrait faire de Babylon Berlin. A travers l’enquête de Gereon Rath, jeune policier de Cologne muté dans le centre administratif du pays, c’est en effet la société allemande de l’époque qui est disséquée, analysée au microscope. Et à première vue, la Grande Guerre est bien loin des préoccupations des Berlinois. Les Goldene Zwanziger (l’équivalent des Années folles en France ou des Roaring Twenties aux Etats-Unis) sont passées par là pour laver les esprits de l’inhumanité des combats. Toutefois, cette décennie bouillonnante, tant au niveau culturel que sociétal, est un peu vue par le petit bout de la lorgnette par Gereon Rath, car le policier travaille à la brigade des mœurs. Son activité routinière concerne les descentes dans les studios de photographies pornographiques, la tournée des cabarets érotiques et la fréquentation du milieu interlope, au plus près donc d’une partie de la société qui fait exploser carcans et tabous. Cette ébullition, rendue parfois excessive en réaction aux quatre années de guerre (le supérieur hiérarchique de Rath considère Berlin comme « la ville la plus dépravée du monde »), se retrouve – de manière moins radicale – dans la vie quotidienne des Berlinois, et notamment des femmes, dont l’émancipation fait un pas de géante. Le personnage de Charlotte Ritter, sténodactylo très indépendante, illustre bien ce que les femmes peuvent enfin se permettre en 1929.
Pourtant, si on gratte un peu le vernis clinquant de ces temps nouveaux, on découvre assez rapidement les vestiges de la Première Guerre mondiale. L’intrigue du récit porte ainsi sur la recherche d’une cargaison d’or russe, disparue au cours de la Révolution d’octobre, conséquence immédiate du conflit. Plus directement encore, Gereon Rath se définit dès le début de l’histoire comme le frère cadet d’un jeune homme mort sur la Marne. Les soldats tués au front, communs à chaque famille allemande, hanteront longtemps les consciences des vivants. L’une des premières questions que pose le général de division Alfred Seegers à Rath lors d’une réception est : « Vous avez servi où ? ». Montrant ainsi que les états de service pendant la Grande Guerre restent plus que jamais une marque d’honorabilité. Le supérieur de Rath est d’ailleurs qualifié de « meilleur tireur d’élite de l’armée allemande », qui renvoie à des « exploits » vieux de dix ans. Jusqu’aux mutilés de guerre qui font la manche dans les rues, beaucoup de choses rappellent la guerre. Cette présence est particulièrement prégnante dans la haute bourgeoisie berlinoise que croise l’inspecteur des mœurs. La Dolchstoßlegende (la légende du coup de couteau dans le dos) y trouve un écho très favorable. L’idée – cheval de bataille du parti nazi – que l’armée allemande fut invaincue sur le terrain mais trahie par certains civils (les juifs et l’extrême gauche en particulier), est partagée par un grand nombre de personnes influentes. L’esprit de revanche est solidement enraciné. La Der des Ders porte de plus en plus mal son nom.
Babylon Berlin. Arne Jysch (scénario et dessin). Adapté de Volker Kutscher. Glénat. 216 pages. 16,95 euros.
Les 5 premières planches :
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