Apostat, les derniers soubresauts de l’empire romain contre le christianisme
Flavius Claudius Julianus, plus connu sous le nom de Julien l’Apostat est le dernier empereur à ouvertement se revendiquer païen. Devenu Auguste en 361, il veut rétablir la prééminence du polythéisme face à la position dominante prise par le christianisme depuis l’édit de tolérance de Constantin en 313. En vingt mois de règne, ce fin lettré n’a pas le temps de mettre en œuvre son programme ambitieux. Les auteurs chrétiens n’auront de cesse après sa mort de dénigrer sa mémoire en le présentant comme un monstre persécuteur et pervers. L’excellente série Apostat de Ken Broeders retrace la vie étonnante du dernier membre de la dynastie des Constantiniens.
Au IVe siècle, un empire chrétien en déclin mais qui résiste sur toutes ses frontières
Les chrétiens ont subi neuf persécutions depuis celle de Néron en 64 jusqu’à l’édit de Gallien en 260 qui marque le début de la « Petite paix de l’Eglise ». Celle-ci est brutalement interrompue par la dixième et dernière persécution, celle commanditée par Dioclétien en 303. Cet empereur autoritaire est le créateur, en 287, de la tétrarchie, c’est-à-dire du partage en quatre parties d’un empire trop grand pour continuer à être centralisé. Un Auguste dirige l’Ouest de l’Empire depuis Mediolanum (Milan), toujours subordonné à l’Auguste d’Orient qui demeure dans sa capitale de Byzance. Chaque Auguste est aidé d’un César.
Après la mort de Dioclétien, c’est Constantin, le fils de Constance Chlore, l’Auguste d’Occident, qui réunifie l’Empire sous sa seule autorité, après sa victoire en 312 près du pont Milvius. Le nouvel empereur crédite sa victoire du dieu des chrétiens. Il affirme avoir eu la vision du chrisme1 et avoir entendu : « Tu vaincras par ce signe », In hoc signo vinces. C’est donc fort logiquement qu’il autorise le christianisme par l’édit de tolérance ou édit de Milan en 313. Il se convertit lui-même sur son lit de mort en 337, et ses descendants à la tête de l’Empire son tous chrétiens jusqu’à Julien.
Un érudit grec, à la tête de l’empire malgré lui
Après la mort de Constantin en mai 337, trois de ses fils, pour mieux affermir leur pouvoir, font assassiner, par les gardes palatins, les branches collatérales de la famille. Agé de 7 ans le petit Julien voit ainsi périr tous ses parents directs, excepté son frère ainé Gallus. Eusèbe, évêque de Nicomédie, recueille les garçons et les élève dans la foi chrétienne dominante, c’est-à-dire celle de l’hérésie arienne. Julien grandit, se passionne pour la lecture et l’étude de la philosophie, notamment pour le néoplatonisme. De Constantinople à Athènes, il poursuit sa formation au milieu d’érudits païens et de chrétiens convaincus comme les futurs saints, Basile de Césarée et Grégoire de Nazianze. Sa vie bascule quand son cousin, l’empereur Constance l’appelle auprès de lui en 355.
Le jeune homme craint un temps pour sa vie avant de comprendre que l’Auguste le veut pour empêcher une nouvelle sédition d’un général victorieux. Il lui donne pour épouse sa propre sœur, Hélène la jeune, et l’envoie avec le titre de César en mission en Gaule. Julien se consacre dans un premier temps à la défense de la frontière. Les Alamans franchissent le limes2 dans les provinces de Germanie et passent même le Rhin. Le fragile intellectuel se mue alors en chef de guerre rusé. En 361, à la mort de Constance, il hérite seul d’un empire toujours menacé qu’il entend renforcer en faisant appel aux dieux anciens et en rejetant officiellement le christianisme.
Une bande dessinée fort bien documentée
C’est la vie de cet empereur qui n’a régné que 2 ans que nous découvrons à la lecture de la série Apostat de Ken Broeders. Les éditions BD Must ont traduit les trois premiers volumes du flamand en français. Ils traduiront en une seule fois, les quatre tomes suivants quand ils auront été tous édités dans leur langue d’origine. Commencée en 2009, la parution de la série pâtit du temps qu’il faut à l’auteur pour se documenter sur l’Antiquité tardive et particulièrement sur un IVe siècle qui voit l’empire romain soumis à de multiples guerres civiles, menacé sur toutes ses frontières et affaibli par des conflits religieux, entre chrétiens et polythéistes et entre chrétiens orthodoxes et hérétiques, ariens notamment.
C’est entre l’édit de tolérance de Constantin (313) et l’édit de Thessalonique, décrété par Théodose en 380 qui impose la religion chrétienne comme seule religion licite de tous l’Empire, qu’il faut contextualiser la vie et l’œuvre de Julien. Ken Broeders s’est renseigné aux meilleures sources écrites mais aussi auprès du groupe de reconstitution néerlandais Fectio pour bâtir un scénario historiquement irréprochable, si on excepte quelques libertés prises dans le caractère de quelques personnages secondaires comme Arbacès, Paul Catena ou la belle et rebelle Primigenia.
Une bande dessinée historiquement juste mais vivante car complexe et humaine
Le dessin de l’auteur anversois participe grandement au succès de l’œuvre. Toujours en couleurs directes avec acrylique, gouache ou aquarelle, son trait réaliste donne à voir et comprendre une époque à partir de trajectoires bien humaines. Il s’attarde sur certains faciès, des trognes ou des expressions, pour mieux faire pénétrer le lecteur au cœur des mentalités et des habitus de l’époque. Son trait sans concession pour les défauts humains mais précis pour les décors et les paysages l’ont fait surnommer par certains « Brueghel l’Ancien », un surnom justifié quoi qu’un peu exagéré.
Loin de tout manichéisme, Apostat présente toutes les ambiguïtés et ambivalences d’une époque charnière dans l’Histoire de l’Occident. Le christianisme n’a pas encore triomphé et l’empire romain est encore puissant et unifié. Julien est présenté sous le jour sympathique d’un érudit traumatisé par l’assassinat de sa famille lorsqu’il était enfant. Son retour progressif au paganisme est fort bien décrit sans occulter son goût pour le mysticisme ou la superstition.
Pour vous plonger au cœur des principales problématiques de l’Antiquité tardive, nous vous conseillons la lecture de cette biographie du dernier empereur païen : Julien l’Apostat, connu aussi sous le nom de Julien II, Julien le philosophe ou Julien le Grand.
1 – Le chrisme est un symbole chrétien formé des deux lettres grecques X (chi) et Ρ (rhô), la première apposée sur la seconde. Il s’agit des deux premières lettres du mot Χριστός (Christ).
2 – Le limes est le nom donné par les historiens modernes aux systèmes de fortifications établis au long de certaines des frontières de l’empire romain.
Apostat T1 La malédiction pourpre. Ken Broeders (scénario, dessin & couleurs). BD Must. 48 pages. 15,95 €
Apostat T2 La Sorcière. Ken Broeders (scénario, dessin & couleurs). BD Must. 48 pages. 15,95 €
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Apostat Pack Collector T1 à 3. Ken Broeders (scénario, dessin & couleurs). BD Must. 48 pages. 69 €
Les 5 premières planches :
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