Collaboration horizontale : récit d’un amour interdit sous l’Occupation nazie
Si l’Occupation a maintes fois été abordée en bande dessinée, le sort des femmes qui ont eu le malheur d’avoir des relations intimes avec des soldats allemands avait jusqu’à présent été peu évoqué ; sauf à travers les scènes terribles de Françaises tondues à la Libération. Avec Collaboration horizontale, Navie et Carole Maurel viennent combler un vide en signant un album touchant bien qu’inabouti.
Collaboration horizontale. Le terme est aussi froid qu’explicite. C’est par ces mots que l’on désigne l’attitude des femmes qui ont eu des relations sexuelles avec des soldats allemands durant l’Occupation. Opportunisme ? Collaboration active ? Histoire d’amour ? A la Libération, peu importaient les raisons qui étaient à l’origine de ces rapports interdits. Coucher avec un « Boche » ne pouvait en aucun cas se justifier. Environ 20 000 femmes ont ainsi été tondues, en France, en général par des maquisards ou des membres des F.F.I. Ce triste épisode de l’épuration – rappelons que le fait d’avoir des relations sexuelles avec des soldats ennemis n’était en aucun cas interdit par un quelconque texte législatif ou réglementaire – est abordé dans les dernières pages de Collaboration horizontale. Une scène poignante au terme de laquelle le lecteur est partagé entre dégoût de tant de haine, et colère devant la lâcheté de celles et ceux qui auraient pu empêcher un tel affront. Précisons que le sort peu enviable réservé aux « enfants de Boches » est quant à lui au cœur de L’Enfant maudit, de Laurent Galandon et Arno Monin (Grand angle, 2 tomes, 2009-2012).
L’ambitieux album de la scénariste Navie et de la dessinatrice Carole Maurel (remarquée pour son excellent roman graphique L’Apocalypse selon Magda) débute à Paris, en 1942. Rose parvient à sauver son amie Sarah – qui est juive – en détournant l’attention d’un officier de l’Abwehr (les services de renseignement de l’armée allemande) chargé d’une enquête de voisinage suite à une dénonciation. Mais la jeune femme, qui est marié à un soldat français prisonnier en Allemagne et mère du jeune Lucien, tombe au passage amoureuse de Mark. Un sentiment partagé. Les deux amants se voient à plusieurs reprises, même si cette liaison doit être tenue secrète afin que Rose ne soit pas vue comme une traîtresse et une débauchée.
Le scénario de Collaboration horizontale est globalement bien écrit. Les personnages sont nombreux, complémentaires, et dressent un tableau assez exhaustif de cette France sous l’Occupation. Le propos des auteures n’est jamais manichéen, malgré quelques envolées lyriques. Ainsi, Mark ne se transforme pas en chevalier au grand cœur au contact de Rose ; il reste jusqu’au bout convaincu par la politique raciale de son Führer. De même, les résistants ne sont pas forcément présentés comme des saints, à la fois dévoués corps et âmes à une cause et bons pères de famille (cf le personnage de Léon). L’ambiguïté entre collaboration active et passive est savamment entretenue, preuve qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une galerie de personnages binaires pour faire passer des messages aux lecteurs. On prend un réel plaisir à lire cet album copieux (près de 150 pages), qui est par ailleurs admirablement mis en scène par Carole Maurel. Comme dans L’Apocalypse selon Magda, son dessin est d’une grande efficacité narrative et se suffit souvent à lui même. Certaines planches de rupture – comme celle du coup de foudre entre Rose et Mark, ou encore celles qui illustrent les sentiments de Camille – sont à la fois pertinentes et percutantes. Collaboration horizontale constitue donc une belle et émouvante histoire sous l’Occupation.
Le principal regret que nous laisse cet album est finalement le trop grand équilibre qui règne dans la place accordée à chacun des personnages ; et donc aux différentes histoires parallèles. Comme son titre l’indique, l’angle d’attaque du livre est la collaboration horizontale. Rose et Mark devraient donc logiquement être au centre de ce récit. Or, les multiples autres intrigues prennent trop souvent le pas sur cet amour tabou, alors même qu’elles n’ont pas forcément de lien avec le sujet principal. On sent que les auteures veulent parler de tout, avec passion et générosité, mais elles se perdent du coup en trames éculées (le sauvetage de Sarah et de son fils Anaël) ou hors-sujet (comme la révélation de l’homosexualité de Simone). Idem pour la tragédie vécue par Joséphine, qui prend de plus en plus d’ampleur au fur et à mesure du récit, jusqu’à un final superflu, alors que les auteures avaient jusqu’à cette séquence su éviter toute dramatisation excessive. Pour en revenir à Rose et à Mark – nous allons pinailler, mais la version allemande du prénom « Marc » est « Markus » et non « Mark » –, on ne sait finalement pas grand chose de ce couple, dont la relation dure pourtant environ deux ans (jusqu’à la Libération). Ils tombent amoureux, se voient dans un parc, font l’amour, discutent de choses et d’autres, et… c’est à peu près tout. Ils ne s’interrogent, par exemple, jamais véritablement sur leur amour tabou, alors même qu’il est absolument inimaginable que le contexte de l’époque ne les ait pas amenés à le faire, et ceci à plusieurs reprises.
D’aucuns estimeront sans doute ces réserves injustes, voire abusives. Elles n’empêchent pourtant pas l’auteur de ces lignes de recommander la lecture de cet album, qui pèche certainement par une trop grande volonté de bien faire. Comment, dès lors, en vouloir à ses créatrices, alors même que les librairies débordent d’ouvrages écrits, dessinés, édités et publiés précipitamment.
Collaboration horizontale. Navie (scénario). Carole Maurel (dessin). Delcourt. 144 pages. 17,95€
Les 5 premières planches :
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