Fouché : l’art de passer entre les gouttes sous la Révolution
Loin d’être aussi connu que Danton, Robespierre, Condorcet, Saint-Just, Marat, Gouges, ou Desmoulins, Joseph Fouché n’en reste pas moins l’un des principaux acteurs de la Révolution française. Nicolas Juncker et Patrick Mallet s’attaquent à cette figure ambiguë de la vie politique française dans une série dont le premier tome vient de sortir aux éditions Les Arènes.
Figure importante de la Révolution française, Joseph Fouché est l’un des rares acteurs de la Terreur à avoir survécu à la chute de Robespierre. Et pour cause : se sentant lui-même menacé, il a activement participé au complot qui est parvenu à destituer le membre le plus influent du Comité de Salut public, l’envoyant à l’échafaud le 28 juillet 1794. Joseph Fouché était parvenu à sauver sa peau, au prix d’un retournement de veste qui frise le chef d’œuvre de perfidie politique. Rappelons que Robespierre était son ami de longue date ; Fouché ayant même eu à une époque une relation amoureuse avec sa sœur Charlotte. C’est cette incroyable capacité à trahir pour survivre qui transparaît dans le premier volume de la biographie en bande dessinée que Nicolas Juncker (scénario) et Patrick Mallet (dessin) consacrent à celui que l’on a surnommé le « mitrailleur de Lyon ».
Fils d’un négrier devenu planteur à Saint-Domingue, Joseph Fouché envisage d’embrasser la même carrière que son père. Après tout, il n’aurait pas été le seul esclavagiste reconverti en révolutionnaire (citons, pour l’exemple, Toussaint Louverture, esclave affranchi devenu propriétaire d’esclaves). Sa santé fragile le bloque finalement en métropole, où il devient professeur de physique. Franc-maçon, il adhère très tôt aux idées de la Révolution française. Il a entre-temps fait la connaissance d’un certain Maximilien de Robespierre. A l’époque à laquelle débute Le Révolutionnaire (premier tome de la série), en 1791, Joseph Fouché est préfet du collège des Oratoriens de Nantes. Il a déjà obtenu la fin de l’enseignement en latin, celle des châtiments corporels, et la mise en place de cours d’éducation civique. Pour autant, il porte toujours la tonsure, coupe de cheveux éminemment liée au clergé. Cela ne l’empêche pas d’être élu à la Convention l’année suivante, où il siège avec les Girondins.
A partir de cet épisode, la trajectoire de Joseph Fouché est difficile à cerner. Considéré comme un modéré, il vote contre toute attente en faveur de l’exécution de Louis XVI. Les conséquences de cette décision – tant en terme de politique intérieure qu’au niveau diplomatique – sont bien mises en évidence par les deux auteurs. Obsédé par la lutte contre la propriété privée et la religion – lui qui a pourtant enseigné dans un établissement catholique -, Fouché se distingue par ses nombreuses exactions, prenant une part active à la Terreur. Il fait ainsi exécuter, au canon, près de 2.000 « ennemis à la Nation », à Lyon, en novembre 1793. Il est alors rappelé à Paris par un Robespierre furieux de tant de sang versé. Et doit justifier ses actes devant la Convention.
C’est dans ce contexte de chasse à l’homme que le récit de Nicolas Juncker (lauréat du premier Prix Cases d’Histoire en 2015 pour La Vierge et la putain, éd. Treize étrange) et de Patrick Mallet prend toute son ampleur. Craignant pour sa vie, Joseph Fouché délaisse le jeu purement politique et monte, les uns après les autres, certains des plus fidèles alliés de Robespierre contre leur chef. Un épisode qu’évoque notamment la longue et terrible introduction de l’album. Traître parmi les traîtres, il se noie dans son ambiguïté et son ambition qui le conduiront, quelques années plus tard, à renier une nouvelle fois ses convictions en devenant le partisan d’un retour de la monarchie. Pour leur biographie, les deux auteurs ont bien sûr fait des choix, écartant volontairement certains épisodes de la vie de Fouché – par exemple sa jeunesse – ou ne s’étalant pas sur d’autres – comme les multiples autodafés qu’il a commis en 1793. Ils se sont concentrés sur l’homme, sur ses prises de position, et sur cette époque particulièrement effrayante où le moindre mot de travers pouvait mener à un raccourcissement définitif. Une situation d’incertitude permanente qui est également en cause dans les trahisons successives de Fouché. Clair, documenté, passionnant, ce récit est également brillamment mis en mages par le dessin semi-réaliste de Patrick Mallet, auteur de la sublime série Achab.
Fouché, t.1 – Révolutionnaire. Nicolas Juncker (scénario). Patrick Mallet (dessin). Les Arènes. 58 pages. 15 €
Les 5 premières planches :
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