Puisqu’il faut des hommes, ou l’impossible retour après la guerre d’Algérie
Entre 1954 et 1962, la France a mené une guerre d’arrière-garde afin de conserver la mainmise sur ses départements algériens. Un conflit déraisonnable et d’un autre temps, vu le contexte de décolonisation accélérée, que le scénariste Philippe Pelaez et le dessinateur Victor L. Pinel abordent dans Puisqu’il faut des hommes.
1961. Joseph Fournier est de retour dans son village natal, après un tour d’opération de 30 mois en Algérie. Mais pour tout le monde, c’est un planqué qui a passé le temps de son service derrière un bureau, pendant que ses camarades affrontaient les fellaghas. Son père lui en veut plus encore que les autres, car il aurait abandonné sa famille afin d’échapper aux durs travaux de la ferme. Son frère Jules en a payé le prix fort. Cycliste talentueux, il a vu ses promesses de carrière voler en éclats à la suite d’un accident de tracteur qui l’a laissé paraplégique. Quant à Mathilde, la fille du cafetier, elle n’a pas attendu le retour de son amour de jeunesse, et s’est fiancée avec le fils du boucher, promis à un bel avenir.
Dans cette ambiance de village écœurante, où les piliers de comptoir jacassent en bavant leur picrate, et les bonnes femmes médisent à défaut d’avoir mieux à faire de leur journée, Joseph est coupable d’être revenu. Les événements d’Algérie ont entraîné la mort d’environ 28.000 militaires français, dont plus d’un tiers des suites d’un accident. Mais Joseph est de retour ; et intacte avec cela. Normal pour un planqué de l’état-major. Sauf que les choses sont plus complexes que cela… Mais, comme Philippe Henriot dépréciant le patriotisme de Pierre Dac sur les ondes de Radio-Paris en mai 1944, la France profonde et ignorante a parlé. Et la vox populis ne fait pas dans la dentelle. Elle laboure sa haine, et y sème les graines de la discorde future. Aucune nuance, aucune retenu, mais une idée claire de la différence entre le bien et le mal.
La guerre d’Algérie n’est pas le conflit qui a le plus inspiré – jusqu’à présent – les auteurs de bande dessinée. L’œuvre de Philippe Pelaez et de Victor L. Pinel vient donc apporter sa contribution à un édifice encore à bâtir. Dans Puisqu’il faut des hommes, les auteurs parviennent à matérialiser l’absence de cette guerre de décolonisation qui n’a jamais assumé son statut. Si elle a certes été plus proche des préoccupations des Français que la précédente – celle d’Indochine –, elle n’en a pas moins été livrée à l’écart de la métropole. Et surtout, dans le secret… Quand les villageois voient revenir Joseph, c’est aussi le fantôme d’un combat et d’un empire bientôt perdus qui les terrifie. Ce n’est que dans le dernier quart de l’album que le lecteur va finalement découvrir le vrai Joseph ; et par la même, cette terre d’Algérie tant fantasmée que personne, de ce côté de la Méditerranée, n’a alors vraiment compris.
Puisqu’il faut des hommes. Philippe Pelaez (scénario) et Victor L. Pinel (dessin). Éditions Bamboo. Collection Grand Angle. 64 pages. 15,90 euros.
Les cinq premières planches :