Fouché, le policier : protéger le Premier Consul sans lui faire de l’ombre
Nicolas Juncker et Patrick Mallet poursuivent leur portrait de Joseph Fouché. Ils mettent le tombeur de Robespierre aux prises avec l’étoile montante de la politique française, Napoléon Bonaparte. Ce deuxième tome, sous-titré Le policier, dépeint l’avènement d’un Fouché plus connu du grand public, celui qui fonde le renseignement intérieur au service de l’État. Tout savoir sur tout le monde peut vous rendre efficace, mais aussi fort impopulaire, jusque dans les plus hautes sphères du pouvoir.
Après être passé entre les gouttes sous la Convention et sorti indemne de la Terreur*, Fouché traverse le Directoire en attendant son heure. En se mettant au service du nouvel homme fort du régime, Paul Barras, il lorgne la direction du Ministère de la Police générale. Créée le12 nivôse an IV (2 janvier 1796), cette institution entre en concurrence avec le Bureau central du canton de Paris, chargé du maintien de l’ordre et de la surveillance politique dans la capitale. Dépourvue de moyens, de personnel, de crédibilité et surtout de prestige, la fonction de ministre de la Police n’intéresse personne. En récompense de ses bons et loyaux services aux Pays-Bas, le 20 juillet 1799, Fouché obtient de Barras cette nomination qui va changer sa vie et infléchir le cours de l’Histoire de France.
À cette époque, le Directoire se meurt. Ses membres les plus influents, dont Barras et Sieyès, cherchent une issue pour sauver l’État. Exit Barras, qui a cru au retour des Bourbons, et tenté de persuader Fouché de ses prémonitions. C’est bien des rangs de l’armée que sortira l’épée qui affermira le régime en rejetant à égale distance et avec une égale détermination les prétentions royalistes et les menées jacobines. En tant que ministre de la Police, Fouché participe passivement au coup d’État du 18-Brumaire an VIII (9 novembre 1799). Mis en demeure par le bientôt Premier Consul de prouver son utilité, il va désormais servir ce nouveau maître, dont les ennemis politiques pullulent. Il va s’agir de mettre son intelligence, ses réseaux et son sens aigu de la psychologie à contribution.
Napoléon Premier Consul hérite de fait des ennemis de la République. Le soulèvement vendéen de 1793 s’éteint quand les derniers chefs militaires, Stofflet et Charette, sont capturés et fusillés en 1796. Mais le feu couve sous la cendre. Juncker ne manque pas de rappeler comment, à deux reprises au cours de l’année 1800, les royalistes passent à l’acte en projetant d’assassiner l’usurpateur corse. Si le complot emmené par Hyde de Neuville, chevalier Demerville, est tué dans l’œuf grâce au noyautage des conjurés par des agents de la police, le spectaculaire attentat de la rue Saint-Nicaise**, attribué opportunément aux Jacobins échoue pour quelques minutes de retard. Fouché, remarquablement efficace dans le premier cas, doit beaucoup à la providence dans le second. Cela lui permet toutefois d’avoir la confirmation que, si Napoléon a des ennemis prêts à tout, l’entourage du Premier Consul, son frère Lucien en tête, se méfie du chef de la Police. Est-ce parce que ce Jacobin repenti a forcément conservé de la sympathie pour ses anciens amis ? Est-ce parce que Barras, son précédent mentor, fut l’amant de Joséphine de Beauharnais, désormais l’épouse de Napoléon ? Est-ce tout simplement parce que cet homme a la manie de rédiger des fiches et de constituer des dossiers depuis plusieurs années, et que personne n’échappe à son inquisition ?
On peut discuter sans fin de la valeur morale du personnage Fouché, mais il est difficile de contester l’immense bond en avant qu’il fait accomplir à ce qu’on dénomme aujourd’hui le renseignement. Cette façon nouvelle d’envisager la sécurité intérieure s’accompagne de méthodes inédites d’investigation, mises en pratique pour la première fois après l’attentat de la rue Saint-Nicaise, justement. Grâce à la diffusion de signalements dessinés, à la promesse de récompenses pour toute information valable, Fouché démontre de grandes qualités d’enquêteur et aboutit, certes un peu tard, à des résultats tout aussi dissuasifs. Les auteurs de l’attentat du 24 décembre 1800, tous chouans, sont confondus, jugés et fusillés.
Dans ce deuxième volet de leur biographie dessinée, Juncker et Mallet ne peuvent dissimuler un faible pour leur héros. Ils le montrent en époux attentionné, bon père de famille. Il se fâche à peine en découvrant que le préfet Dubois, avec qui il collabore loyalement pour gérer la sécurité de la capitale, l’espionne pour le compte de Lucien Bonaparte. Face à ce dernier, il emporte toujours l’adhésion du Premier Consul. La scène (forcément imaginaire***) au cours de laquelle le triomphe initial de Lucien s’achève en déroute est un chef d’œuvre de mise en scène et de perfidie. Fidèle à son engagement de devenir un fonctionnaire dévoué, il réagit toujours à des attaques tournées contre lui, sans jamais prendre d’initiative discrétionnaire. Il se conduit en parfait gentleman avec Joséphine, son alliée objective contre Lucien. Dernier trait flatteur : Fouché fait preuve d’une grande intuition en ne cédant pas aux sirènes de Talleyrand lorsque l’incertaine bataille de Marengo fait vaciller le régime bonapartiste (14 juin 1800).
La carrière de Fouché, sous la houlette de Juncker et le trait précis de Mallet n’en finit pas d’interroger. Acteur passif de l’avènement de Napoléon Bonaparte le 18-Brumaire, il devient, dans l’ombre, l’artisan de la consolidation et de l’enracinement du régime en réussissant ce pourquoi il est maintenu à son poste : la surveillance et la traque de tous les ennemis potentiels du régime et de son chef. Sa disgrâce momentanée de 1802 sera de courte durée. Si Bonaparte a grand besoin de ses fidèles maréchaux pour triompher sur les champs de bataille, il ne peut se passer des compétences de Fouché pour envisager la suite politique à donner au Consulat.
* Voir la chronique du tome 1, Fouché, le révolutionnaire, mise en ligne le 9 février 2017.
** Le 24 décembre 1800 au soir, dans la rue Saint-Nicaise, une machine infernale, composée d’un tonneau rempli de poudre à canon, de matériaux inflammables et de balles, explose peu après le passage de la voiture de Bonaparte, en route pour l’opéra. 22 personnes trouvent la mort, les blessés se comptent par dizaines, mais le Premier Consul et ses proches sont indemnes.
*** A l’époque des faits, Lucien Bonaparte n’est plus ministre de l’Intérieur. Il a été nommé ambassadeur en Espagne au début du mois de novembre 1800. La démission du frère de Napoléon doit beaucoup à certaines révélations sur ses dépenses exorbitantes, ses multiples maîtresses, des soupçons de favoritisme de concessions et surtout ses critiques ouvertes de Joséphine de Beauharnais. Révélations auxquelles les fiches de Fouché ne sont peut-être pas tout-à-fait étrangères…
Fouché T2 Le Policier. Nicolas Juncker (scénario). Patrick Mallet (dessin). Laurence Croix (couleurs). Les Arènes. 56 pages. 15€
Les 5 premières planches :
0 Comments Hide Comments
[…] Pour en savoir plus lire le billet publié par CAPITAINE KOSACK le 22 novembre 2017 sur le site de Cases d’histoire […]