William Adams, un protestant anglais au pays des samouraïs
Nicola Genzianella et Mathieu Mariolle se sont attaqués à un personnage méconnu en Occident, dont l’épopée demeure pourtant incroyable. Il s’agit de William Adams, pilote anglais officiant pour le compte de la future Compagnie néerlandaise des Indes orientales, et dont le navire s’échoue au Japon à la veille du conflit le plus décisif de l’histoire de l’archipel. Les tribulations insulaires d’Adams constituent par ailleurs l’une des principales sources d’inspiration du célèbre roman Shogun, de James Clavell. Inspirés, les auteurs de Williams Adams, samouraï (édtions Casterman) le sont aussi. Mais à l’instar de leur héros, ils n’ont pas su éviter tous les écueils.
Là-haut sur la colline
À l’instar de leurs lointains cousins médiévaux européens, les châteaux japonais se dressent le plus souvent au carrefour d’axes stratégiques ou aux abords de sites présentant un intérêt économique. Si nombre d’entre eux dominent des ports ou cités côtières, ils sont le plus souvent juchés sur une éminence modeste, bien éloignée de la falaise vertigineuse représentée par Genzianella. Mais soyons beaux joueurs, et permettons la licence à l’artiste. D’autant qu’à Karatsu, à 200 kilomètres à peine d’Ôita, où le pauvre William Adams devait échouer, se trouve un ravissant exemple de place forte bâtie sur une presqu’île. On fera également grâce à l’illustrateur d’avoir réduit l’inexpugnable donjon de la citadelle d’Ôsaka, merveille d’architecture militaire de son temps, à la modeste et néanmoins gracieuse tour de Matsue. L’amateur d’exactitude historique n’y trouvera peut-être pas son compte, mais gageons que ces subtilités furent bien le cadet des soucis du pilote britannique égaré en ces terres lointaines.
Du fond de cale au cachot
C’est en avril 1600, au terme d’un éprouvant périple qui a conduit l’escadre des côtes africaines au Japon, en empruntant le détroit de Magellan, que le Liefde, parti de Rotterdam presque deux ans plus tôt, trouve un mouillage sur le littoral oriental de Kyûshû. Le navire est le seul des cinq qui composaient la flottille à n’avoir pas sombré ou rebroussé chemin à la suite d’avaries. Comme le montrent bien les auteurs de l’album, les rares survivants d’un équipage en piteux état sont immédiatement mis aux arrêts par les Jésuites, qui se trouvent en terrain favorable dans cette région de l’archipel où l’évangélisation avait connu des débuts prometteurs un demi-siècle auparavant. Les captifs étant sujets de royaumes protestants, les catholiques ibériques tentent bien de convaincre les autorités locales de faire exécuter ces importuns sous l’accusation de flibuste. Ce sont d’ailleurs les intrigues des « bons pères » et de leurs coreligionnaires, visant à garantir leur influence politique et leurs intérêts commerciaux, qui finiront par avoir raison de la patience des maîtres successifs du pays : Toyotomi Hideyoshi, puis Tokugawa Ieyasu. Lesquels commencent par réprimer violemment le christianisme, avant de le bannir du Japon sous peine de mort. S’il n’a pas encore triomphé dans la plaine de Sekigahara, une victoire éclatante qu’il remportera six mois plus tard, Tokugawa Ieyasu est alors déjà l’homme fort du pays.
À vouloir faire parler la poudre…
Il est tout à fait exact que Ieyasu convoite les armes présentes à bord du Liefde, mais ce sont des canons dont il s’agit ! Les gros calibres sont très rares dans l’archipel. Seuls les princes les plus prospères peuvent se permettre d’importer à grands frais des lourdes pièces d’artillerie. C’est pourquoi les grandes couleuvrines embarquées suscitent la convoitise du seigneur des Tokugawa, qui les réquisitionne avant de les mettre en batterie à Sekigahara. Contrairement au discours qu’Ieyasu tient à Adams dans l’album, les arquebuses et autres armes à feu individuelles sont en revanche connues des insulaires d’assez longue date, puisque leur introduction remonte à 1543. Quant à la poudre noire, même si la formule raffinée par les Européens est plus performante que sa lointaine aïeule chinoise, elle n’est pas non plus une révélation, les Mongols en ayant déchaîné le pouvoir destructeur lors de leurs tentatives d’invasion à la fin du XIIIe siècle. Artisans habiles, les Japonais se hisseront rapidement à la pointe de la technologie de l’époque, et l’on estime qu’au cours de la campagne de Sekigahara, plusieurs milliers, voire dizaines de milliers d’arquebusiers, s’aligneront sur le champ de bataille. Si la contribution des canons du Liefde – à supposer qu’ils aient tonné avec certitude en ce jour fatidique – fut sans nul doute appréciée, ce ne furent donc pas les services de William Adams qui conférèrent un avantage décisif à l’énorme armée rassemblée par les Tokugawa ou à la non moins nombreuse coalition commandée par Ishida Mitsunari, chacune étant forte de plus de 80 000 combattants.
Le sabre ou le boulier
Adams témoigne dans sa correspondance avec son épouse restée en Angleterre de ses entretiens avec Tokugawa Ieyasu. En dépit d’une curiosité sincère, l’Anglais ne parvient pas à convaincre totalement son puissant interlocuteur, auquel les autres grands féodaux tentent de faire pièce. Si Mariolle rend bien compte du caractère collégial de cette opposition, placée de plus ou moins bonne grâce sous la houlette d’Ishida Mitsunari, le scénariste dépeint un personnage bien éloigné de la réalité historique. Administrateur hors pair et remarquable organisateur, Mitsunari n’a en effet rien du guerrier dépeint dans la bande dessinée. Son manque d’expérience militaire et son incapacité à asseoir son autorité sur une coalition de seigneurs de guerre à l’orgueil chatouilleux causeront du reste l’échec de ses projets. S’il entend demeurer fidèle aux dernières volontés exprimées par son défunt suzerain Hideyoshi, Mitsunari n’en est pas moins un homme de son temps, à l’image de son adversaire. Aucun des deux rivaux n’incarne plus qu’un autre la modernité, contrairement à ce qu’une vision anachronique favorable au régime des Tokugawa tentera d’imposer par la suite. Enfin, s’il est bien des daimyôn – ces « grands noms » à la tête des clans samouraïs – pour se livrer à la piraterie, tel n’était pas le cas de Mitsunari, qui ne se serait sans doute jamais abaissé non plus à croiser le fer en pleine rue de Kyôto ou d’Ôsaka au cours d’une rixe.
Williams Adams, samouraï, t.1 – Aux confins du monde. Mathieu Mariolle et Nicola Genzianella. Casterman. 14,50 euros