Bérézina : à Moscou, la roue tourne pour Napoléon
En adaptant le roman Il Neigeait de Patrick Rambaud, Frédéric Richaud et Ivan Gil donnent un coup de projecteur sur le drame humain de la retraite de Russie. Avec comme première péripétie, le gigantesque incendie de Moscou, qui signe le début de la fin pour la campagne de 1812.
Pas de chance pour les milliers de soldats de la Grande Armée qui y firent preuve d’un esprit de sacrifice et d’un courage inouïs, la bataille de la Bérézina reste imprimée dans l’imaginaire collectif français comme un fiasco, une déroute, une défaite sans appel. Ironie de l’Histoire. Pour deux raisons. D’une part, en cette fin du mois de novembre 1812 où les températures atteignent plus de 30° en-dessous de zéro, l’engagement militaire aux alentours de la ville de Borisov permet aux troupes françaises acculées de franchir cette fameuse rivière Bérézina pour continuer une retraite jusque-là désastreuse, sans être totalement anéanties par les forces russes. Travail magistral des pontonniers, résistance farouche des 10 000 hommes du maréchal Victor et charges incessantes des 800 cavaliers du général Fournier donnent à l’armée française une victoire, il est vrai seulement stratégique vu les énormes pertes subies. D’autre part, le sort de l’aventureuse campagne de Russie ne se joue pas sur cette bataille mais bien avant, finalement dès le passage du fleuve Niémen pour envahir l’empire d’Alexandre Ier, alors que les troupes du Tsar ne cessent de se dérober au souhait d’une bataille décisive de la part de Napoléon. Moins de trois mois après le début des hostilités, la prise de Moscou, laissée à l’abandon, ne change rien à l’affaire. L’ancien allié de la France n’a toujours pas l’intention de capituler. Le 18 octobre, craignant les affres de l’hiver, la Grande armée doit se résigner à entamer une longue et douloureuse retraite.
C’est précisément ces quelques jours passés par les troupes françaises dans – à l’époque – l’ancienne capitale russe que couvre le récit du premier tome de Bérézina. Un moment d’une campagne militaire qui a peu l’habitude d’être traité tant la geste napoléonienne se focalise sur les batailles. Au contraire, Richaud et Gil décrivent la prise de possession de Moscou, l’organisation de son administration temporaire, la prise de quartier des troupes d’occupation, l’attente d’une armée avant les prochains combats, la tentation du pillage. Comme pour leur précédente adaptation d’un roman de Patrick Rambaud*, les auteurs s’attachent à présenter l’appropriation de la ville par la Grande Armée selon deux éclairages parallèles. D’un côté, la vision de Napoléon installé au Kremlin, avec sa maison, notamment son secrétaire le baron Fain, et son état-major, dont l’indispensable courroie de transmission qu’est le maréchal Berthier. De l’autre, le capitaine d’Herbigny des dragons de la garde, dont la préoccupation principale est de pouvoir se loger dans Moscou avec ses hommes. Du haut de la pyramide jusqu’à la piétaille, tous les aspects de la vie dans une cité occupée sont passés en revue jusqu’au 16 septembre, date de la première relocalisation à l’extérieur de Moscou d’un Empereur obligé de quitter le Kremlin menacé par les flammes. L’incendie de la ville donne justement au récit une dramatisation et un rythme enlevés, soutenus par des dialogues vifs et réalistes. L’originalité du point de vue, centré sur l’intendance, est très instructive quant à la vie quotidienne des troupes pendant l’épopée napoléonienne. On est très loin d’un récit historique à haute altitude, fixé sur la stratégie et les mouvements de corps d’armée. Toutes ces qualités font de Bérézina une bande dessinée à la fois réussie et atypique sur la période.
* La Bataille (2012-13-14, Dupuis) suit le déroulement de la bataille d’Essling (20-22 mai 1809).
Bérézina T1/3. Frédéric Richaud (scénario). Ivan Gil (dessin). Patrick Rambaud (adapté de). Albertine Ralenti & Elvire De Cock (couleurs). Dupuis. 64 pages. 15,50€
Les 5 premières planches :