Opération Copperhead : le scénario foutraque du MI-5 qui mystifia les espions nazis
Au service de sa gracieuse Majesté, le lieutenant-colonel David Niven et le soldat Peter Ustinov themselves sont chargés d’une mission loufoque mais cruciale, en vue du débarquement de juin 1944. Nom de code : Opération Copperhead. Jean Harambat s’empare avec gourmandise et brio de ce moment d’Histoire et nous dévoile la mise en scène de cette incroyable mystification.
Qui pourrait nier la contribution décisive à la victoire des Alliés apportée par la propagande, l’espionnage et la désinformation ? Lors de la conférence de Téhéran (novembre 1943), Roosevelt, Staline et Churchill s’accordent sur la localisation et la date du débarquement de Normandie (opération Overlord). Ils conviennent également de la nécessité de désinformer l’ennemi sur ce projet et jettent ainsi les bases théoriques de l’opération Bodyguard. Son objectif est assez simple à résumer : cacher autant que possible les préparatifs de la plus grande opération aéronavale de tous les temps et accréditer d’autres hypothèses stratégiques auprès de l’Abwehr (le service de renseignement nazi). Sa mise en œuvre faite de ramifications complexes réclame beaucoup de finesse. L’Intelligent Service en la personne de son chef, le colonel Dudley Clarke, imagine alors le scénario de la rocambolesque opération Copperhead. Reste à en recruter les agents.
Pendant ce temps, aux studios Denham, dans la banlieue de Londres, Carol Reed tourne un film de commande se voulant subtilement patriotique, The way ahead. Sorti sur les écrans en juin 1944, il offre le rôle principal à David Niven et son scénario est co-écrit par un jeune et prometteur homme de théâtre, Peter Ustinov. Le premier est revenu de Hollywood dès 1939 pour revêtir l’uniforme. Assez vite, sa notoriété (lui valant le grade de lieutenant-colonel), ses talents oratoires et son charme l’affectent à des missions de relations publiques. En clair, il doit susciter des engagements volontaires dans la gent féminine. Le second est versé, à sa demande, dans le service cinématographique des armées, où il se sent dans son élément. La rencontre entre ces deux hommes aurait pu se réduire à ce long-métrage, mais Churchill et le colonel Clarke en ont décidé autrement. Il va s’agir de « jouer un tour au caporal Hitler », en y insérant « du secret, du
théâtre, de l’aventure… et une pincée d’amour », dixit Churchill et Ustinov.
Ce que le lieutenant-colonel Niven et son ordonnance ignorent encore, c’est que le tournage de ce film somme toute banal sert de couverture à une mission top secret, l’opération Copperhead. Nos deux acteurs doivent dénicher puis former un faux général Montgomery alias Monty, commandant en chef des troupes britanniques, que le MI-5 enverra où bon lui semblera afin d’égarer les espions allemands sur une fausse piste méditerranéenne. Tant qu’à faire, autant recruter un comédien ressemblant. L’heureux élu se nomme Meyrick Edward Clifton James. Il est comédien amateur, sert son pays comme comptable après l’avoir déjà servi pendant la Grande Guerre. C’est surtout le parfait sosie de Monty, à une légère exception anatomique près…
De cette situation extraordinaire, Jean Harambat a tiré un scénario tourbillonnant. Il l’a conçu en tressant des extraits des autobiographies des protagonistes : Décrocher la lune (David Niven), Cher moi (Peter Ustinov) et I was Monty’s double (Clifton James)*. À point nommé, il en distille des extraits, étoffant ainsi son aventure d’une galerie de personnages secondaires qu’on dirait tout droit sortis d’un roman. Notre trio d’agents secrets croise ainsi le propre père de Peter Ustinov, alias Klop. Pilote allemand en 1914, il navigue, aux dires de son fils, entre journalisme, art et politique depuis qu’il est citoyen britannique. De passage au London Palladium Theater, Niven et Ustinov sont éblouis, comme tous leurs compagnons, par la sublimissime Véra. Bien plus qu’une chanteuse à soldats, elle est belle, spirituelle, romantique. L’un en tombe éperdument amoureux et la courtise à grand renfort de poèmes, pendant que l’autre analyse plus froidement la situation et la résume d’un aphorisme très imagé.
Après son Ulysse, les chants du retour**, Harambat se saisit ici à nouveau d’un matériau historique assez dense. Mais dans cet album, il donne libre court à sa fantaisie, en captant toute la loufoquerie de l’humour anglais. N’oublions pas que cette mission, en cas d’échec, peut faire capoter l’opération Overlord. Le parti-pris du décalage entre la gravité de la situation et l’apparente légèreté des acteurs est un régal. Le sémillant David Niven, constamment rejeté dans l’ombre de sir Laurence Olivier, est désopilant. Harambat lui donne même l’occasion de supplanter symboliquement Errol Flynn, l’épée à la main ! Peter Ustinov éblouit par son sens inné de la répartie. Harambat lui offre ici, post mortem, le seul rôle qui manquait à son époustouflante carrière : celui de faire-valoir dans un duo tragi-comique. Quant à Clifton James, sa balourdise et son amour du théâtre le rendent touchant, déterminé qui plus est à incarner Monty dans ce qui ressemble fort au rôle de
sa vie.
En prélude de cette Opération Copperhead, l’auteur nous avertit (pour mieux nous égarer) que « tout n’est pas entièrement vrai, mais tout n’est pas entièrement faux » dans son histoire. Quelque part entre Blake et Mortimer et les Monty Python, grâce à des personnages tous admirablement croqués, aux couleurs d’Isabelle Merlet finissant d’ancrer l’histoire dans le Londres du « baby Blitz », au rythme narratif impeccable, cet album savoureusement so british se déguste, à tout moment, comme un scone croustillant.
* Publiés respectivement en version française en 1973 et 1978 et en version originale anglaise en 1954.
** Cette œuvre a reçu le 12e prix Château de Cheverny de la bande dessinée historique en octobre 2015.
Opération Copperhead. Jean Harambat (scénario et dessins). Isabelle Merlet (couleurs). Dargaud. 176 pages. 22,50€
Les 5 premières planches :
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