Seules à Berlin: des décombres du IIIe Reich naît une amitié
Tandis que le IIIe Reich n’est pas encore totalement vaincu, et alors que la Guerre froide s’annonce déjà, Nicolas Juncker raconte dans Seules à Berlin l’histoire de deux jeunes femmes que tout semble opposer, mais qui vont finalement devenir amies, envers et contre tout.
Berlin, mai 1945. La Seconde Guerre mondiale touche à sa fin. Dans une ville ravagée par les bombardements anglo-américains, Ingrid, volontaire à la Croix-Rouge allemande et femme d’officier SS, est terrorisée par l’arrivée des soldats de l’Armée rouge. Et elle a de quoi… Si les Soviétiques ne s’avèrent finalement pas si friands de ragoût de bébé allemand – le cannibalisme est l’une des nombreuses légendes ridicules véhiculées par le régime nazi à propos des ressortissants d’URSS –, ils se paient en revanche allègrement sur les femmes. Ingrid est ainsi violée à de nombreuses reprises ; et elle ne doit sa survie qu’à sa faculté à pouvoir endurer de telles sévices.
De son côté, Evgeniya, jeune officier du NKVD, vient d’arriver dans la capitale allemande. Sa mission : localiser et identifier les restes d’Adolf Hitler. Elle est, à ce titre, en concurrence avec les équipes du SMERSH, le service de contre-espionnage de l’Armée rouge. Les deux jeunes femmes vont être amenées à cohabiter dans la même chambre. Une situation ubuesque, d’où naîtra une étrange, mais sincère amitié.
Auteur remarqué de La Vierge et la putain (Treize étrange) – Prix Cases d’Histoire en 2015 – ou encore de la trilogie Fouché (Les Arènes) *, Nicolas Juncker s’est basé sur le témoignage de deux femmes – l’une allemande, l’autre soviétique – pour donner naissance à ce récit dur et poignant. De nombreuses informations et émotions passent par des extraits de journaux intimes, forme narrative que les deux protagonistes pratiquent afin d’échapper à leur quotidien. Chacune dispose d’un chapitre pour évoquer son point de vue sur le conflit, avant que les deux personnages ne confrontent leurs expériences. Évidemment, cet exercice provoque incompréhensions et négations des deux côtés. Ce sont, en quelque sorte, deux mondes, deux propagandes qui s’opposent, dans un immense choc des civilisations.
D’un point de vue graphique, Nicolas Juncker saisit ses lecteurs aux tripes dès les premières pages. Si l’auteur évite les scènes trop crues, il ne peut pas pour autant complètement nier la violence extrême de ces derniers mois de guerre. Particulièrement celle exercée sur les civils, et notamment les femmes. Les historiens estiment que deux millions d’Allemandes de tous âges ont été violées par des soldats soviétiques durant la Seconde Guerre mondiale. Certaines à plusieurs reprises… Cette outrance se traduit dans le dessin. Le trait est anguleux, les visages émaciés, les corps fatigués. Le traitement au lavis renforce cette atmosphère de désolation, tout en faisant ressortir la richesse des compositions. Seules à Berlin est un livre puissant, parfois drôle, parfois brutal, qui ne laissera personne insensible. Un livre terrible, mais aussi chargé d’espoir.
* : les deux premiers tomes ont été chroniqués sur Cases d’Histoire, ICI pour le tome 1 et ICI pour le tome 2.
Seules à Berlin. Nicolas Juncker (scénario & dessin). Casterman. 200 pages. 25 euros.
Les 10 premières planches :